1983 – Rapport Jury Alexis Jacquemain

 

Remise solennelle du Prix Francqui
par Sa Majesté Le Roi Baudouin et la Reine Fabiola
à la Fondation Universitaire le 15 juin 1983

Curriculum Vitae – Rapport du Jury – Discours

Alexis Jacquemin

Curriculum Vitae

(24/07/1938 – 14/08/2004)

Né à Liège, le 24 juillet 1938

Diplôme universitaires :

Docteur en Droit, Université de l’Etat à Liège, 1961
Licencié en Sciences économiques, Université Catholique de Louvain, 1964
M.A., Department of Economics, University of California, Berkeley, 1966
Docteur en Sciences économiques, Université Catholique de Louvain, 1967

Fonctions :

Professeur ordinaire à l’Université Catholique de Louvain, 1971
Professeur, Département d’Economie, Facultés Universitaires Saint-Louis, Bruxelles, 1971

Curriculum vitae :

E. Bernheim European Award for a study on the firm’s market power and the EEC, 1965
Belgian American Educational Foundation CRB Graduate Fellowship, 1965-1966
Directeur, Center for Economic and Legal Research in Industrial Organization, Université Catholique de Louvain, 1967
Professeur adjoint, European Institute for Advanced Studies in Management, Bruxelles, 1973
5 Yearly Award of the Belgian Universities Foundation for Social Sciences, 1974
P.H. Spaak European Award for Economie Industrielle Européenne, 1976
Membre du Curatorium de l’Institut Universitaire International de Luxembourg, Grand-Duché de Luxembourg, 1981
Président de la European Association for Research in Industrial Organization – EARIE, 1981
Vice-Président de l’Association Internationale de Droit Economique, 1982

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Rapport du Jury (9 avril 1983)

Considérant que Alexis JACQUEMIN a acquis une réputation internationale et qu’il a assuré le rayonnement de la science belge dans les domaines de l’économie industrielle et du droit économique;

considérant le caractère novateur de ses travaux, nés de la synthèse des sciences économiques, juridiques et politiques; lesquels travaux constituent l’une des contributions essentielles à l’élaboration d’une branche nouvelle du savoir adaptée à la compréhension de phénomènes majeurs de notre époque;

considérant qu’il y a fait preuve à la fois d’une grande imagination créatrice et d’une exemplaire rigueur méthodologique;

considérant que la clarté de ses analyses et l’objectivité de ses conclusions ont permis à la communauté scientifique internationale d’en venir à une plus juste appréciation des réalités et à une meilleure précision des concepts sur des points qui paraissaient acquis, en matière de concentration des entreprises ou de crise industrielle, par exemple et que, par conséquent, il a fait considérablement progresser les connaissances dans ces domaines;

décide d’attribuer le Prix Francqui 1983 à M. Alexis JACQUEMIN, Professeur à l’Université Catholique de Louvain.

Jury international dans lequel siégeaient :

Le Professeur Pieter VERLOREN VAN THEMAAT
Ancien Professeur à l’Université d’Utrecht
Avocat général à la Cour de Justice des Communautés Européennes
Grand-Duché de Luxembourg
                                                           Président

et

Le Professeur William BRASS
Professor at the London School of Hygiene and Tropical Medicine
Medical Demography
London – UK

Le Professeur Claude CHAMPAUD
Professeur Faculté de Droit
Université de Rennes
France

Le Professeur Alison FAIRLIE
Professor Emeritus of French
University of Cambridge
UK

Le Professeur Herman Josef FREDE
Honorarprofessor an der Katholischtheologschen
Fakultät der Universität Tübingen
Leiter des Vetus Latina Institut Beuron
Beuron – Germany

Le Professeur Corrado ROSSO
Professeur de Langue et de Littérature françaises
Université de Bologne
Italie

Le Professeur Jean STEFANINI
Professeur à la Faculté des Lettres
Université d’Aix-Marseille
Aix-en-Provence – France

Le Professeur Mariano YELA
Professeur de Psychologie expérimentale
Université Complutense
Madrid – Espagne

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Discours du Baron van der Meulen
Président de la Fondation Francqui

Sire, Mevrouw,

Bij deze 50 jarige viering van onze Stichting en het herdenken van de toekenning van de eerste Francqui-Prijs aan onze bekende historicus op 15 mei 1983, is het gepast een eerbiedige hulde te brengen aan de Koninklijke Familie van België die nooit versaagd heeft haar belangstelling te betuigen voor onze Instelling en onze actie te ondersteunen voor het wetenschappelijk onderzoek in ons land.

Sedertdien heeft de Francqui-Prijs een vermaardheid verworven die zich over de grenzen heen heeft doorgezet en een Europese bekendheid heeft genoten.

Trouw aan zijn stichter hebben wij de bevordering van de wetenschap steeds gesteund en om deze viering waardig te maken heeft de Raad van Beheer van onze Instelling o.m. volgende beslissingen genomen :

– de Francqui-Prijs wordt vanaf 1983 gebracht van 1 tot 2 miljoen Fr.;
– de Belgische Francqui-Leerstoelen worden voortaan bedacht met 100.000 Fr
– drie beurzen Francqui-Fellowships van 15.000 $ worden jaarlijks toegekend om de noodzakelijke banden met de Verenigde Staten te verstevigen;
– verdere interventies worden voorzien voor hoogstaand wetenschappelijk onderzoek.

Op die manier kan een privaatrechtelijke Instelling nog een nuttige bijdrage leveren aan het hoger onderwijs in dit Land.  Dit is een omvangrijk maar realistisch programma voor de toekomst.

Het Francqui-Fonds is dan ook bijzonder dankbaar voor de onvoorwaardelijke steun waarvan zij steeds genoten heeft van Z.M. de Koning die ieder jaar onze plechtigheid heeft vereerd.  In het bijzonder zijn wij vandaag opgetogen door de aanwezigheid van H.M. de Koningin op deze verjaardag.

Cette année, le domaine des Sciences Humaines est à l’honneur et je voudrais tout d’abord remercier les Membres du Jury pour l’aide qu’ils ont apportée à notre Institution.

Avec l’autorisation du Roi, je donnerai maintenant lecture du diplôme qui sera remis au Lauréat.

Notre Conseil d’Administration, en séance du 12 avril 1983, à conféré le Prix Francqui 1983 à M. Alexis JACQUEMIN, Professeur à l’Université Catholique de Louvain.

En prenant cette décision, Le Conseil a fait siennes les propositions d’un Jury international dans lequel siègeaient : MM. BRASS, CHAMPAUD, Miss FAIRLIE, MM. FREDE, ROSSO, STEFANINI, VERLOREN VAN THEMAAT et YELA.  Professeurs d’Universités Allemande, Britanniques, Espagnole, Françaises, Italienne et Néerlandaise.

Né le 24 juillet 1938, M. Alexis JACQUEMIN a fait ses études à l’Université de l’Etat à Liège et à l’Université Catholique de Louvain.

Docteur en Droit en 1961 à l’Université de l’Etat à Liège, aspirant du Fonds National de la Recherche Scientifique en 1964, il obtint sont Doctorat en Sciences Economiques à l’Université Catholique de Louvain en 1967.

C’est également à l’Université Catholique de Louvain qu’il fut promu Professeur en 1971.

Le Jury a notamment pris en considération la réputation internationale que s’est acquise M. Alexis JACQUEMIN qui a, par ailleurs, assuré le rayonnement de la science belge dans les domaines de l’économie industrielle et du droit économique.

Ses travaux – dont le caractère novateur est né de la synthèse des sciences économiques, juridiques et politiques – constituent l’une des contributions essentielles à l’élaboration d’une branche nouvelle du savoir, adaptée à la compréhension de phénomènes majeurs de notre époque.

M. JACQUEMIN a fait preuve à la fois d’une grande imagination créatrice et d’une exemplaire rigueur méthodologique, cependant que la clarté de ses analyses et l’objectivité de ses conclusions ont permis à la communauté scientifique internationale d’en venir à une plus juste appréciation des réalités et à une meilleure précision des concepts sur des points qui paraissaient acquis, en matière de concentration des entreprises ou de crise industrielle, par exemple, et par conséquent, il a fait considérablement progresser les connaissances dans ses domaines.

Au nom de la Fondation Francqui, j’adresse au Lauréat nos vives félicitations.

Qu’il plaise au Roi de consacrer la désignation de M. JACQUEMIN comme Lauréat du Prix Francqui 1983 en lui remettant le diplôme de notre Institution.

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Discours du Professeur Alexis Jacquemin

Sire, Madame,

En exprimant à leurs Majestés ma profonde gratitude pour leur présence à cette cérémonie, je souhaite leur dire quel encouragement précieux constituent leurs initiatives dans le vaste domaine des sciences sociales et le constant soutien qu’elles apportent à la recherche scientifique.  Je voudrais aussi confesser que l’obtention d’une distinction aussi prestigieuse force le bénéficiaire à être témoin de sa propre recherche, c’est-à-dire de ses incertitudes et de ses ignorances.  Mon allocution n’aura dès lors d’autre but que de témoigner ma reconnaisance à ceux qui m’ont soutenu tout au long de mon cheminement et de situer mes modestes travaux dans une perspective plus générale.

Sire, Madame,
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

Au siècle dernier Stuart Mill écrivait : « il y a peu de chance d’être un bon économiste si on n’est rien d’autre.  Etant en perpétuelle interaction, les phénomènes sociaux ne seront pas réellement compris isolément. »  C’est sans doute cette conception que m’ont insufflé mes Maîtres lorsqu’ils m’encourageaient à rechercher une conciliation entre l’indispensable approfondissement d’une discipline et la sauvegarde d’une pluralité d’approches qui tente de rattacher à l’unité de la réalité sociale la diversité de ses manifestations.  Qu’il me soit permis de citer tout spécialement les noms des Professeurs Ch. del Marmol, Y. Urbain, L. Dupriez, P. Rousseaux et J. Bain.  Je voudrais en outre évoquer les membres du C.R.I.D.E., mon unité de recherche à l’UCL, avec lesquels j’ai vécu tant d’heures ferventes.  Permettez-moi aussi de dire ma profonde reconnaissance aux Autorités Académiques de l’UCL, ainsi qu’à celles des Facultés Universitaires St-Louis, qui me manifestent depuis si longtemps leur confiance.  Enfin, il ne m’est pas possible d’exprimer tout ce que je dois à mes parents, tout ce que je dois aussi à mon épouse à laquelle je voudrais associer son père, le Professeur F. Desaive.

En économie comme dans d’autres disciplines sociales, il existe un courant de pensée qui tend à privilégier une vision selon laquelle les structures productives observées, la répartition internationale des activités, la distribution des revenus, sont autant de manifestations d’une adaptation efficace à un ordre naturel externe, dicté par les conditions technologiques du moment, les dotations de facteurs, les qualifications et les productivités des individus.  Ces conceptions s’apparentent à certaines idées des économistes classiques, tel Adam Smith : de même qu’on ne pourrait priver une machine d’un rouage sans l’arrêter, de même est-il suggéré qu’on ne pourrait modifier la structure du système économico-politique sans le détruire.  Dans leurs dimensions dynamiques, elles relèvent aussi d’une sortie de darwinisme social qu’avait élaboré F. Galton et dont un des derniers avatars est la sociobiologie : les hiérarchies et la dominance de certains types seraient le fruit d’un tri sélectif et d’une concurrence assurant le maximum d’efficacité.  Groupes et nations les plus favorisés correspondraient à une fatalité historique mettant chacun à sa place dans la pyramide sociales.

En contraste, diverses analyses ont éclairé le rôle des agents économiques qui, au lieu de subir un ensemble de conditions préétablies, modifient celle-ci selon leurs préférences.  Ce sont des initiateurs de combinaisons nouvelles, mûs par la volonté de créer et de dominer, par le désir quasi-nietzschéen de puissance.  Dans cette optique, la configuration des structures industrielles sont autant le résultat de stratégies délibérées destinées à contrôler les marchés, que d’exigences techniques; les avantages comparés entre nations ne sont pas donnés mais en partie fabriqués, à travers les choix de développement et les processus d’apprentissage; les inégalités de revenus résultent pour une part importante des actions de groupes qui défendent leurs intérêts, et plus fondamentalement encore des conséquences du modèle socio-culturel sous-jacent.  Plusieurs écoles ont véhiculé ces idées, depuis les institutionnalistes américains, tel T. Veblen, jusqu’aux théoriciens de la concurrence imparfaite et des jeux dynamiques.  Une contribution centrale est celle de J. Schumpeter pour lequel l’agent économique est capable de rompre des processus répétitifs, de créer ou de modifier les structures et les règles du jeu à son avantage.  Dans un cadre intertemporel où les agents prennent des décisions successives, apparaît ainsi une « dynamique du pouvoir économique ».

Mes recherches dans le domaine de l’économie industrielle et du droit économique s’apparentent à cette approche.  Dans un premier temps, il s’est agi d’analyser les principales caractéristiques structurelles d’un marché (degré de concentration, barrières à l’entrée, différenciation du produit, ouverture internationale, asymétries dans l’information….), pour ensuite élaborer des modèles qui mettent en lumière les interactions s’établissant au cours du temps entre ces structures et les stratégies d’entreprise.  Un résultat évident de ces interractions est que les formes actuelles des marchés, les modes d’organisation adoptés par les grands oligopoles nationaux ou internationaux, leurs politiques de prix et de non-prix, ne coïncident pas automatiquement avec l’intérêt collectif.  Au delà d’une caractérisation des types d’équilibre que forment les ensembles de stratégies envisagés, il faut alors s’interroger sur le rôle que les Pouvoirs Publics devraient assumer.  Dès l’instant où les structures productives ne résultent pas d’une sorte de nécessité naturelle et où les relations de pouvoir dans un contexte de rareté sont placées au centre de la réflexion, on est amené à étudier les instruments susceptibles d’assurer, au sein de nos économies décentralisées, une meilleure convergence entre intérêts particuliers et intérêt général.  C’est notamment le rôle des politiques de concurrence et des politiques industrielles.  En outre, les aspects juridiques de l’intervention des Pouvoirs Publics dans la vie économique prennent tout leur sens.  La règle de droit y est perçue, moins comme une contrainte jouant le rôle d’un obstacle à l’efficacité, que comme une variable de décision susceptible d’améliorer le fonctionnement du système.  Des types alternatifs d’institution, d’organisation juridique et de règlementation sont appelés à être confrontés afin de sélectionner ceux qui sont les plus aptes à réguler la situation économique en cause.  L’analyse juridique et sa logique propre rejoignent ainsi l’analyse économique dans le souci d’orienter un projet de société.

Ce projet de société me semble devoir rencontrer deux ordres principaux de préoccupation.  En premier lieu, il importe de limiter les processus d’accumulation, la consolidation et la perpétuation des positions de domination, de favoriser par contre une redistribution régulière des cartes et une mobilité des positions.  Par analogie avec de récentes recherches en biologie qui contestent certaines vues darwiniennes et soulignent le rôle positif du polymorphisme génétique des groupes assurant une diversification des aptitudes et une variété des activités, un tel projet est également appelé à encourager le pluralisme économique, à valoriser les différences entre individus et entre organisations, qu’il s’agisse des types d’activité et d’emploi, des formes et des dimensions d’entreprise, ou encore des modes de consommation.

Contrastant avec un monde uniforme où règne la concurrence dans sa pureté et sa perfection, et où les « acteurs » s’adaptent sans la moindre stratégie, notre univers est celui d’une pluralité irréductible de préférences et de pouvoirs.  Une saisie de cette réalité, dans sa diversité et sa mouvance, qui permettrait d’en dégager toute la richesse, est un objectif important à la fois pour le scientifique et pour le politique.

C’est sur cette vision d’une société pluraliste et changeante que je voudrais conclure.  En m’attribuant le Prix Francqui, le Jury et le Conseil d’Administration de cette éminente Fondation ont suscité en moi des sentiments de joie mais aussi d’angoisse.  L’angoisse d’être si peu armé en face des graves problèmes économiques et sociaux qui déchirent notre pays.  J’interprète cependant leur décision comme étant le souhait, qu’avec les multiples chercheurs concernés par les mêmes problèmes, l’effort soit poursuivi et le défi relevé.

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