1975 – Rapport Jury René Thomas

Remise solennelle du Prix Francqui
par Sa Majesté Le Roi Baudouin
à la Fondation Universitaire le 29 mai 1975

Curriculum Vitae – Rapport du Jury – Discours

René Thomas

Curriculum Vitae

Né à Ixelles, le 14 mai 1928

Diplôme universitaires :

Docteur en sciences chimiques, 1952
Agrégé de l’enseignement supérieur, 1961, Université Libre de Bruxelles

Fonctions :

Professeur ordinaire à la Faculté des sciences de l’Université Libre de Bruxelles : génétique moléculaire.

Curriculum vitae :

Aspirant du Fonds National de la Recherche Scientifique, 1953-1955.
Chargé de Recherches du Fonds National de la Recherche Scientifique, 1955-1958.
Chercheur qualifié du Fonds National de la Recherche Scientifique, 1958-1959
Boursier de la Fondation Rockefeller, 1957-1958
Boursier de voyage Fulbright, 1957-1958
Directeur du Laboratoire de Génétique de l’Université Libre de Bruxelles, 1961.
Titulaire de la Chaire Francqui à l’Université Catholique de Louvain, 1963-1964.
Membre du Comité de Biophysique de l’Académie Royale de Belgique, 1964.
Membre du Laboratory Advisory Committee de l’Embo (European Molecular Biology Organization).
Professeur ordinaire, 1965.
Professeur d’échange à la Sorbonne, 1968-1969.
Membre de l’Advisory Board of the Lunteren Lectures on molecular biology, 1973.
Membre du Comité de direction du Centre de Génétique moléculaire de Gif-sur-Yvette, 1974.

Distinctions scientifiques :

Prix Stas-Spring décerné par l’Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique et a Société Chimique de Belgique, 1952.
Médaille de l’Université Libre de Bruxelles, 1952.
Lauréat du Concours des bourses de voyage du Gouvernement, 1953.
Prix Th. Gluge, 1965.

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Rapport du Jury (5 avril 1975)

Considérant sa contribution ans le domaine de l’analyse de la structure de l’A.D.N. par la découverte de sa dénaturation, phénomène devenu un outil essentiel en biologie moléculaire,

considérant la mise en évidence des circuits positifs de régulation de l’expression génétique du bactériophage et l’originalité de l’analyse de ces circuits,

considérant l’impulsion qu’il a donnée à la génétique moléculaire en Belgique et la renommée internationale que sn travail lui a valu,

considérant l’influence créatrice qu’il a exercée sur ses collaborateurs et sur ses élèves,

décide de conférer le Prix Francqui 1975 à M. René THOMAS, Professeur à la Faculté des sciences de l’Université Libre de Bruxelles.

Jury international dans lequel siégeaient :

Le Professeur Alfred Tissières,
Professeur à l’Université de Genève

                                                                       Président

et

Le Professeur Jacob T.F. Boeles
Professeur et Directeur du Laboratoire de Physiologie

Universiteit Amsterdam

Le Professeur Jean-Pierre Changeux
Professeur à l’Institut Pasteur – Paris

Le Professeur Hendrik Coenraad Hemker
Professeur à la Faculté de médecine de Maastricht

Le Professeur Otto F. Hutter
« Regius Professor » et Directeur des Physiological Laboratories

University of Glasgow

Le Professeur David Jackson
Professeur de Biochimie médicale

University of Manchester

Le Professeur Cesar Milstein
Chef adjoint de la Subdivision de Chimie protéique

Medical Research Council Laboratory of Molecular Biology
Cambridge

Le Professeur Albert E. Renold
Vice-Recteur de l’Université de Genève

Directeur de l’Institut de Biochimie clinique
Genève

Le Professeur Donald Roodyn
Professeur au University College

London

Le Professeur Piotr Slonimski
Professeur à l’Université de Pierre et Marie Curie (Paris VI)

Directeur du Centre de Génétique Moléculaire, C.N.R.S.
Gif-sur-Yvette

Le Professeur Jacques-Marie van Rossum
Professeur à la Katholieke Universiteit te Nijmegen

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Discours de Monsieur R. Gruslin
Président de la Fondation Francqui

Sire,

Nous éprouvons chaque année un sentiment d’honneur plus profond de voir le Chef de l’Etat consentir à procéder en personne, au siège de notre Institution, à la remise du Prix Francqui.

1975 – date centenaire d’anniversaire de la naissance du Roi Albert – nous permet de rappeler que ce fut le Grand-père de Votre Majesté qui daigna souligner, dès notre création en 1932, le souci qu’aurait la Dynastie de soutenir les initiatives tendant aux perfectionnements des recherches scientifiques.

Votre présence, Sire, à la cérémonie de ce jour annoblit le zèle des savants; aussi sera-ce avec un enthousiasme plus grand encore qu’ils poursuivront leurs travaux malgré les vicissitudes qu’ils connaissent présentement compte tenu des difficultés financières que traversent les Universités sont la tâche capitale, rappelon-le, est de promouvoir le développement de la science.

J’exprime au Roi la respectueuse reconnaissance du Conseil d’Administration de la Fondation Francqui pour les nombreux témoignages de sollicitude qu’Il apporte au progrès des sciences, aux exgences de la recherche et partant à l’importance sociale de cette préoccupation.  Ils sont un encouragement puissant pour ceux qui luttent avec ferveur – et non sans angoisse – pour que la Belgique garde dans le monde scientifique la place que lui ont valu le talent et le savoir de nos Maîtres et de leurs disciples.

Sire,

Le Prix Francqui – d’un million de francs depuis cette année – était réservé au Groupe des Sciences naturelles et médicales.

Sur rapport d’un Jury constitué uniquement de personnalités étrangères les plus éminentes, le Prix 1975 a été attribué à l’unanimité, le 7 avril dernier au Professeur René THOMAS.

Au nom de mes Collègues, je suis heureux de féliciter de tout coeur le Lauréat.

Né le 14 mai 1928, M. René THOMAS a fait ses études à l’Université Libre de Bruxelles où il a été promu Docteur en sciences chimiques en 1952.

Agrégé de l’enseignement supérieur en 1961, M. THOMAS a été successivement Aspirant, Chargé de recherches et Chercheur qualifié du Fonds National de la Recherche Scientifique.

Il fut également suppléant du cours de génétique à la Faculté des Sciences en 1960 et devint Professeur ordinaire à l’Université Libre de Bruxelles en 1965.

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Discours du Professeur René Thomas

Sire,

Il y a près de cinquante ans, le Roi Albert, l’illustre aïeul de Votre Majesté, prononçait à Seraing un discours mémorable.  L’année suivante naissait le Fond National de la Recherche Scientifique, une Institution dont le rôle dans le développement de la Science en Belgique a été et reste déterminant.  Depuis, la Dynastie n’a cessé d’apporter son appui à la Recherche fondamentale.  La présence de Votre Majesté à cette cérémonie n’est est qu’une démonstration de plus.

Sire,
Monsieur Le Président,
Mesdames, Messieurs,

Un Jury international prestigieux et le Conseil de la Fondation Francqui m’ont fait l’insigne honneur de me décerner ce prix; cet honneur doit rejaillir, pour une large part, sur mes maîtres Jean BRACHET et Raymond JEENER, sur mes disciples et sur l’Université de Bruxelles, qui nous a tant aidés.  Mes travaux n’auraient pu se concevoir sans la préexistence d’un milieu favorable, fruit d’une longue tradition, ni sans le rajeunissement continuel assuré par l’arrivée de jeunes éléments de valeur.  C’est que la Science est une machinerie complexe, qui ne fonctionne bien que là où elle est déjà bien implantée.  L’essor remarquable de certains domaines de la Recherche en Belgique est le résultat du développement progressif, étalé sur des générations, d’écoles renommées comme celles d’Albert BRACHET et de Théophile DE DONDER.  Cette situation est malheureusement instable par nature et peut être comparée – toutes proportions gardées – à celle d’un siphon dont l’amorçage serait très long et laborieux : une interruption, fût-elle brève, de l’injection de jeunes chercheurs, n’aurait pas pour résultat une simple stagnation transitoire, mais une dégradation rapide et pratiquement irréversible.

Grâce donc à toutes ces aides et à celle, essentielle, de l’Euratom et des pouvoirs plublics, j’ai pu suivre ma voie de recherche, jusqu’ici dans de bonnes conditions et en toute liberté.  Plutôt que de me livrer à une sèche énumération des travaux qui m’ont valu le Prix Francqui, je crois préférable de faire comprendre ce que j’ai fait au cours des toutes dernières années et ce que je pense faire dans un proche avenir.  Lorsque l’on examine un organisme complexe, on ne peut manquer d’être frappé par la grande diversification de ses cellules.  Cette diversification se caractérise par la synthèse de protéines propres à chaque type cellulaire.  C’est ainsi que les précurseurs de nos globules rouges synthétisent, presque exclusivement de l’hémoglobine, d’autres cellules, de l’insuline, d’autres encore, des enzymes digestifs.  Et pourtant, toutes ces cellules contiennent la même garniture de chromosomes, le même assortiment de gènes, l’ensemble de l’information génétique qui permettrait la synthèse de toutes les protéines de l’organisme.  Par quel mécanisme de régulation certaines cellules expriment-elles donc spécifiquement tel gène, d’autres tel autre gèn ?  Un problème analogue se pose lors de l’infection d’une cellule par un virus.  Le virus, inerte par lui-même, acquiert les caractéristiques du vivant lorsque son matériel génétique – son acide nucléique – est injecté dans une cellule.  Ce matériel génétique est formé d’un certain nombre de gènes.  Or, loin de s’exprimer tous ensemble dès leur entrée dans la cellule les gènes d’un virus s’expriment selon un scénario remarquablement précis.  Nous avons toutes raisons de penser que les mécanismes de programmation mis en évidence chez les virus se retrouveront, à des variantes près, chez les organismes complexes.  Il y a deux raisons d’étudier ces mécanismes chez les virus : l’une est que, pour des raisons techniques, leur étude approfondie est plus commode; l’autre, que la connaissance précise du fonctionnement d’un virus, même inoffensif, rapproche le moment où l’on pourra lutter efficacement contre les virus pathogènes.

L’étude génétique d’un virus, le bactériophage « lambda », nous a permis de montrer clairement (en même temps que le chercheur américain Englesberg, travaillant sur un autre organisme), l’existence de mécanismes de régulation positive.  Chez notre virus, le développement procède par une cascade de telles régulations positives.  Mais il existe pour ce virus un autre mode de vie, analogue à celui des virus ocongènes, responsables de nombreuses formes de cancer : le matériel génétique du virus devient partie intégrante de celui de la cellule-hôte, et est dès lors transmis implacablement à travers les générations cellulaires.

La décision du virus, soit de tuer la cellule, soit d’établir avec elle cette ramarquable association, dépend d’un réseau de régulation d’une surprenante complexité.  C’est ce qui m’a conduit à interrompre pendant près de trois ans mes travaux proprement génétiques, pour développer un formalisme logique approprié à l’étude des mécanismes de régulation.  A partir du calcul séquentiel, développé notamment ici à Bruxelles par mon collègue Jean Florine, j’ai pu élaborer un langage qui décrit les modèles de régulation en termes d’équations logiques; de ces équations découle de manière rigoureuse l’ensemble des « chemins » – successions temporelles d’états – compatibles avec le modèle, et les conditions qui imposent au système de suivre tel ou tel chemin.  Nous utilisons maintenant ce formalisme en interaction constante avec l’expérimentation, et nous pensons qu’il pourra s’appliquer bientôt à l’étude d’organismes complexes, et aussi à des domaines extérieurs à la Biologie.

Sire,

La Recherche belge a grand besoin de la sollicitude que Votre Majesté veut bien lui manifester.  On ne peut certes dire que notre Science ait démérité et que, comme certains l’imaginent, nos chercheurs cherchent sans trouver : est-il besoin de rappeler ici que deux Prix Nobel sont venus témoigner récemment de la qualité de la Recherche belge ?  Et cependant, cette Recherche est gravement menacée.  Une phrase du discours de Seraing évoque à la fois l’une des causes et les conséquences d’un tel état de choses : « Le public ne comprend pas assez chez nous que la Science pur est la condition indispensable de la Science appliquée, et que le sort des nations qui négligeront la Science et les Savants est marqué par la décadence ».  Puisse cette mise en garde prophétique du Roi Albert être étendue.

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