2007- Rapport Jury François de Callataÿ


Remise solennelle du Prix Francqui
par Son Altesse Royale le Prince Philippe
au Palais des Académies le 6 Juin 2007

Curriculum Vitae – Activités Scientifiques – Rapport du Jury – Discours

François de Callataÿ

Curriculum Vitae

François de Callataÿ est né à Uccle le 13 juin 1961. Exemple de vocation précoce, il grandit dans la passion pour les civilisations anciennes (d’abord précolombiennes). Après des études gréco-latines au Collège Saint-Pierre à Uccle, il s’inscrit en Archéologie et Histoire de l’Art à l’Université catholique de Louvain où, grâce à l’un de ses professeurs, Tony Hackens, il découvre et s’enthousiasme pour les monnaies grecques.

Au sortir de ses études et après un service militaire en Allemagne (1984), il  bénéficie d’une bourse de recherches qui lui permet de passer huit mois à l’Ecole française d’Athènes (1984-1985) dans le même temps qu’il est fait lauréat du Concours des bourses de voyage du Gouvernement.

Entré au Fonds National de la Recherche scientifique comme aspirant en octobre 1985, il y rédige une thèse de doctorat qu’il présente en octobre 1988. Chargé de recherches au FNRS depuis octobre 1989, il est nommé au cabinet des médailles de la Bibliothèque royale de Belgique en avril 1991. Une progression rapide au sein de cet établissement l’amène à être promu directeur du Cabinet des Médailles en 1994, puis des Départements muséologiques en 1996. Depuis 2006, ses responsabilités s’étendent à l’ensemble des patrimoines précieux conservés à la Bibliothèque royale de Belgique, soit les collections nationales de manuscrits, de livres précieux, d’estampes, de cartes & de plans, de monnaies & de médailles ainsi que la section de la musique. Il s’agit d’un patrimoine particulièrement prestigieux, qui fait de la Bibliothèque royale de Belgique l’une des dix plus grandes institutions de par le monde dans chacune de ces matières. À ce titre, il anime une équipe de c. 50 personnes, dont plus de 20 scientifiques. Il est aussi membre du Comité de direction et du Conseil scientifique de cette même Bibliothèque royale.

Depuis 1998, François de Callataÿ a été élu et nommé professeur à l’Ecole pratique des Hautes Etudes (Paris/Sorbonne) où, à la suite de Georges Le Rider, il occupe la chaire d’Histoire monétaire et financière du monde grec. L’Ecole pratique des Hautes Etudes, fondée sous Napoléon III, dispense des enseignements universitaires de troisième cycle qui draine un public international. Comme pour le Collège de France, les professeurs sont tenus d’y présenter un enseignement original et toujours renouvelé à raison de deux heures par semaine.

Ayant commencé à publier jeune (ses premières contributions publications parurent en 1982/1983), François de Callataÿ est à ce jour l’auteur, dans le champ des études antiques, de 12 livres, d’environ 140 articles et d’autant de notices ou de comptes rendus. Cela représente plus de 4 500 pages publiées dans pas moins de vingt pays différents (Allemagne, Angleterre, Belgique, Bulgarie, Danemark, Égypte, Espagne, États-Unis, France, Grèce, Hong-Kong, Israël, Italie, Liban, Luxembourg, Pays-bas, Roumanie, Suède, Suisse et Turquie). Dans son domaine de prédilection, l’étude des monnaies, il est d’ailleurs apparu pour la période 1996-2001, et quels que soient l’époque ou le thème, comme l’auteur le plus référencé sur les c. 5 000 noms que compte le dernier index de l’International Survey of Numismatic Research 1996-2001 (Madrid, 2003). Il figurait déjà en 3ème position (sur c. 4 500 noms) pour l’édition précédente 1990-1995 (Berlin, 1997).

Cette riche activité éditoriale a valu à François de Callataÿ une série de distinctions en Belgique comme à l’étranger. Pour la Belgique, il a été élu, en décembre 2004, à 43 ans, membre de la Classe des Lettres de l’Académie royale de Belgique. Il avait avant cela, en 1998, été fait membre titulaire de l’Académie royale d’Archéologie et d’Histoire de l’Art et avait reçu le Prix quadriennal de la Société royale de Numismatique de Belgique ainsi que le Prix Victor Tourneur de l’Académie royale de Belgique.

S’agissant de la France, il avait, dès 1994, été invité à donner une série de conférences au Collège de France. Deux de ses ouvrages ont été couronnés par l’Institut de France (Académie des Inscriptions & Belles-Lettres), dont le réputé Prix Bordin (1998) qui a pour but de récompenser tous les trois ans le meilleur ouvrage relatif à l’Antiquité. L’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres lui a confié la publication des archives monétaires du Fonds Louis Robert dont elle a la charge et il vient de recevoir, en 2006, le jeton de vermeil de la Société française de Numismatique qui récompense chaque année un savant à travers le monde pour l’ensemble de son œuvre.

Parmi les nombreuses invitations reçues de l’étranger, on mettra en avant son séjour à l’Institute for Advanced Study (Princeton, 2001 – School of Historical Studies) ainsi que le fait d’avoir été choisi par deux fois – fait inaccoutumé – comme visiting professor du Summer Seminar de l’American Numismatic Society (New York, été 1995 et été 2003).   En 2006 également, il a été fait lauréat du Huntington Medal Award, la plus haute récompense de l’American Numismatic Society.  Il est membre d’honneur ou membre du comité de rédaction d’une série de sociétés étrangères, vice-président de la Société royale de Numismatique de Belgique et co-directeur de la Revue belge de Numismatique de Belgique.

Parallèlement à ses écrits scientifiques, François de Callataÿ est aussi l’auteur d’un roman (Le nombre et la chair. Petit temple païen, paru aux éditions Luce Wilquin en 1998 – couronné par le prix de la Communauté française de Belgique pour un premier roman) ; il participe épisodiquement à des revues d’essais ou de fictions. Père de deux enfants, une fille et un garçon, il vit au cœur même de Bruxelles, dans la Galerie du Roi.

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Activités scientifiques

François de Callataÿ est un historien de l’antiquité dont les travaux portent avant tout sur l’économie monétaire. En particulier, il a œuvré à quantifier les masses monétaires dans l’idée de faire des propositions de macro-économie pour l’antiquité gréco-romaine, et au delà. Cette quantification tient à la fois du calcul de probabilités (combien de matrices [de coins] monétaires a-t-on mis en service à l’origine pour frapper monnaie, sachant que nous en comptons aujourd’hui tel nombre et que nous observons pour elle tel type de distribution ?) et de l’exploitation des témoignages historiques sur la longue durée (afin de déterminer le nombre moyen d’exemplaires frappés pour chacun de ces coins). 

De 1984 à 2000, il aura fait connaître une dizaine de contributions, récemment republiées sous forme de recueil, démontrant à force d’arguments renouvelés que les incertitudes, bien réelles, liées à ces extrapolations ne sont pas telles qu’elles doivent décourager l’entreprise. Ses travaux ont fait passer la communauté scientifique d’un fort scepticisme à une adhésion presque généralisée, teintée comme il se doit de prudence, quant à la validité d’une telle démarche. Travaillant sur des époques plus rapprochées comme les XVIe-XVIIIe s., il a pu montré ex absurdo que la productivité moyenne des matrices monétaires nécessaires aux frappes antiques avait les meilleures chances de se situer au-delà des 10 000 exemplaires – et sans doute des 20 000 (au lieu des quelques milliers tout au plus que la plupart leur attribuait encore dans les années 1980). Démontrer cela et plus encore démontrer que ce type d’extrapolations est entaché d’un coefficient d’incertitude supportable, c’était ipso facto contribuer puissamment à donner à l’étude des monnaies antiques un rôle inédit et important aux yeux de l’historien de l’économie et de l’historien tout court.

Pour asseoir ses conclusions, François de Callataÿ s’est astreint à réunir et à recompter l’ensemble des données des quelque 600 études de coins monétaires publiées jusqu’ici (soit près de 100 000 monnaies) pour le monde grec, de l’archaïsme à la fin de la période hellénistique. Il en a tiré deux recueils, parus en 1997 et 2003, qui permettent d’étudier dans le détail le type de distributions observées. Ces matériaux lui ont permis de proposer d’abord, d’affiner ensuite un modèle général qui envisage dans l’absolu la masse de métal précieux monnayé à différents moments de la période hellénistique (323-31 av. J.-C.). Les résultats auxquels il a abouti reviennent à estimer la masse d’or monnayé en centaines de tonnes (c. 300 ?) et celle d’argent en milliers (c. 3.000 ?). On peut naturellement discuter de la valeur de ces chiffres mais il ne semble pas que leur ordre de magnitude, à tout le moins, puisse être remis en question. Le progrès est considérable.

Dépassant le cadre monétaire, François de Callataÿ s’est interrogé sur la part monnayée des métaux précieux au sein des grandes trésoreries royales. Ses conclusions l’amènent à considérer que cette part fut somme toute limitée et que les métaux précieux eux-mêmes n’ont pas constitué une partie prépondérante des rentrées, lesquelles ont continué, jusqu’à la fin de l’Antiquité gréco-romaine sans doute, à être versées en nature.

Elargissant encore les perspectives, François de Callataÿ s’est récemment essayé à quantifier les performances économiques sur la très longue durée, à savoir les quatre derniers millénaires, en se fondant notamment sur la pollution atmosphérique par le plomb et le cuivre enregistrée dans les glaces du Groenland et ailleurs. Une telle enquête débouche sur des résultats surprenants. Il apparaît que la production d’argent (la pollution par le plomb) connaît un pic pour les deux derniers siècles avant notre ère et les deux premiers siècles de notre ère qui ne sera plus atteint avant le XVIIe s. On en arrive ainsi à une vision plus précise de l’économie antique qui, sur le plan de la monétarisation, a connu, à la fin de la période hellénistique et durant le Haut Empire romain, un développement longtemps inégalé (ce que confirment d’autres types de raisonnement : PNB ou PIB par habitant, importance des trouvailles monétaires relatives à chaque époque, masse et stock monétaires par habitant).

La quantification des espèces monétaires dans l’Antiquité permet de tracer une voie nouvelle dont l’apport, qui commence seulement à être exploité, se révèle régulièrement décisif pour l’histoire économique des mondes grec et romain. Le vieux débat entre « primitivistes » et « modernistes » s’en trouve rafraîchi.

Par ailleurs, comme tout historien, François de Callataÿ ancre ses recherches dans une époque et une aire géographique. Les trois siècles de la période hellénistique (323-31 av. J.-C.) forme le cœur de travaux qui couvrent une large zone, de la Sicile à l’Afghanistan et de la Mer Noire à l’Égypte, pour s’intéresser, en particulier, aux fonctionnements économiques des royaumes. Il a beaucoup publié sur Alexandre le Grand et est un des bons connaisseurs des grands royaumes séleucide et ptolémaïque. Il est l’un des meilleurs spécialistes de la dernière grande figure de cette période, Mithridate Eupator, roi du Pont (c. 132-53 av. J.-C.) auquel il a consacré sa thèse de doctorat. Exploitant l’extrême précision chronologique des séries monétaires de cette époque (les monnaies de Mithridate lui-même sont datées au mois près !), François de Callataÿ arrivait à la proposition dissymétrique suivante : les monnaies des rois (et même de certaines cités) ont été frappées pour payer les troupes mais, étant donné l’insuffisance des numéraires émis, les troupes n’ont pas été payées avant tout en monnaies. D’autres travaux d’ensemble ou plus particuliers sont venu asseoir, s’agissant des masses monnayées, ce constat du « beaucoup (plus qu’on ne se le figurait) mais pas assez (moins qu’il n’en eût fallu pour répondre aux besoins supposés) » qui oblige à repenser la finalité des frappes monétaires.

Avec celles d’autres spécialistes, ses recherches on pesé sur la perception du fait monétaire antique dans son ensemble. Prenant ses distances avec la vision d’Aristote qui favorise une compréhension étymologique de la monnaie (nomisma) liée à la loi (nomos) et donc vecteur égalitaire de démocratie, François de Callataÿ a démontré combien était fort, pour les monnayages d’or et d’argent, le lien avec des dépenses publiques, majoritairement à caractère militaire. D’une façon générale, c’est une vision pragmatique et assez peu planifiée qui ressort de ses études où n’apparaît pratiquement jamais, dans le chef du pouvoir émetteur, le souci d’alimenter la circulation monétaire de façon adéquate pour le bon déroulement des transactions quotidiennes. Ses travaux ont aussi contribué à modifier nos idées, en les revoyant à la baisse, s’agissant de thèmes comme « la monnaie comme signe d’autonomie civique », « l’image monétaire comme vecteur de propagande » ou « la rationalité économique des sociétés antiques ».

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Rapport du Jury (14 Avril 2007)

François de Callataÿ est l’auteur d’une contribution révolutionnaire quant à notre compréhension de la numismatique et de l’histoire du monde classique. Ses avancées méthodologiques ont des implications qui peuvent améliorer l’étude de nombreuses autres cultures anciennes.

Ses publications scientifiques sont nombreuses et uniformément de grande qualité. En particulier, il a fait avancer notre compréhension de la numismatique, de l’histoire financière et monétaire du monde hellénistique (les trois derniers siècles av. J.-C.), une période durant laquelle le concept grec et social de la monnaie frappée s’est répandu de la Méditerranée jusqu’à l’Afghanistan.

Il a apporté une contribution décisive au débat entre primitivistes et modernistes dans le champ de l’histoire économique ancienne. Il a convaincu la communauté scientifique qu’il est possible de faire des propositions sensées à propos de la taille de l’économie monétaire antique, et que nous ne devons plus désormais nous en remettre seulement à des approches descriptives.

Le jury est convaincu que l’œuvre de François de Callataÿ a transformé notre compréhension du monde de l’antiquité classique, tant grecque que romaine. Ceci a des implications pour le développement d’une compréhension politique du rôle des précédents historiques dans le débat en cours s’agissant des unions monétaires et financières.

Jury international dans lequel siégeaient :

Le Professeur Glen Dudbridge
Oxford University

United Kingdom
                                                                           Président

 et

Le Professeur Sudhir Anand
Department of Economics

University of Oxford
United Kingdom

Le Professeur Pedro Barros
Faculdate de Economia

Universidade Nova de Lisboa
Portugal

Le Docteur Andrew Burnett
Deputy Director of the Britisch Museum
United Kingdom

Le Professeur Wolfgang Dressler
Institut für Sprachwissenschaft

Universität Wien
Austria

Le Docteur Raymond Geuss
Faculty of Philosophy

University of Cambridge
United Kingdom

Le Professeur Helge Kragh
Department of History of Science

University of Aarhus
Denmark

Le Professeur Michael Kubovy
Department of Psychology

University of Virginia
U.S.A.

Le Professeur Dr. Amélie Mummendey
Institut für Psychologie

Friedrich-Schiller-Universität Jena
Germany

Le Professeur Ilaria Porciani
Dipartimento di Discipline Storiche

Universitàt di Bologna
Italy

Le Professeur James Alan Robinson
Department of Government

Harvard University
U.S.A.

Le Professeur Pierre Rodrigo
Université de Bourgogne à Dijon

France

Le Professeur Dr. Peter Schreiner
Institut für Byzantinistik

Universität Köln
Germany

Le Professeur Ditlev Tamm
Law Faculty

University of Copenhagen
Denmark

 

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Discours du Professeur dr. Mark EYSKENS,
Président de la Fondation Francqui

 

Monseigneur, Excellenties, zeer geachte Dames en Heren,

De aanwezigheid van Uw Koninklijke Hoogheid is voor de wetenschappelijke en universitaire gemeenschap van ons land een uitzonderlijke eer. Uw bereidwilligheid de Francquiprijs te willen uitreiken bevestigt andermaal Uw persoonlijke belangstelling voor en de betrokkenheid van het koningshuis bij de activiteiten van de Francquistichting. Hierin  zien wij een belangrijke aanmoediging voor al wie in dit land het wetenschappelijk onderzoek behartigen  en die verantwoordelijkheid dragen in en voor de universitaire en wetenschappelijke wereld in al haar geledingen. Nous vous sommes, Monseigneur, très reconnaissant, d’autant plus que vous soulignez par votre présence une évidence qui n’est pas toujours clairement perçue, à savoir que l’avenir de nos sociétés, particulièrement dans ses aspects tant économiques et sociaux que culturels, dépend de manière vitale de nos capacité créatrices et innovatrices.  La science en est le fer de lance.

Dit jaar is de Francqui-Prijs bestemd voor een onderzoeker uit de humane  wetenschappen en de laureaat beoefent hiervan wel een heel bijzondere en aparte tak van de menswetenschappen, zoals aanstonds zal blijken. Banal est le constat que nos sociétés subissent un déferlement de changement tous azimuts. Sous l’ancien régime les changements étaient tellement lents que peu de personnes ne s’en rendaient compte. Aujourd’hui les changements sont tellement rapides et bouleversants que peu de personnes se rendent compte de leur portée et de leurs conséquences. Les changements qui s’articulent autour des technologies de l’information et des communications, dont l’animateur principal est sans aucun doute l’ordinateur, basé sur les microcircuits, constituent plus qu’une troisième révolution industrielle. La première révolution industrielle à la fin du XVIIIe siècle vit le jour grâce à l’invention de la machine à vapeur et à ses applications dans la production et les transports. La seconde révolution industrielle fut la conséquence de la découverte de l’électricité et de l’invention du moteur à combustion, cela à la fin du IXXe siècle. On peut dire qu’à la fin du XXe siècle l’informatique et ses multiples applications ont réussi à révolutionner tous les domaines de la production et de la consommation humaine,  notre manière de vivre quotidienne, les relations entre les personnes, entre les groupes d’individus, les nations, voire les continents. Il s’agit bel et bien d’une mutation fondamentale dans l’histoire de l’humanité de nature à révolutionner le type même de toute révolution dite industrielle  en la rendant par ailleurs postindustrielle particulièrement grâce à son résultat le plus mutant pour l’espèce humaine: l’émergence de la société de la connaissance. Un nouveau monde se met en place caractérisé par l’importance des réseaux et par la déstructuration de modèles d’organisation trop hiérarchiques et figés. Ce nouveau monde est transcontinental et nous disons volontiers qu’ainsi la planète est devenue notre village. Je me plais à l’appeler le « globalistan », un monde mondialisé où une élite pour l’heure, mais qui s’accroît, s’efforce à gérer les nouvelles opportunités et les nouveaux défis. Cela s’appelle « stateless governance », pour le meilleur et pour le pire. L’effritement, voire la périclitation des souverainetés nationales requièrent un contrepoids –   « a countervailing power »  – si l’on veut éviter des dérives monopolistiques, des concentrations excessive de puissance, également sur le plan politique et militaire. Ce contrepoids ne peut être que la construction patiente d’une souveraineté d’un nouveau type, basée sur de nouvelles formes d’intégration,  sur la coopération internationale et sur le multilatéralisme. L’Union européenne est ainsi une expérience historique qui non seulement dès ses origines à tenté et réalisé la « pax europeana » qui n’avait jamais existé sur notre continent. Il faut souligner que la construction européenne tout au long de la guerre froide fut un grand succès mais, dû aux circonstances, caractérisée par une approche défensive et protectrice à l’ombre, par ailleurs menaçante, du rideau de fer. Mais aujourd’hui, suite à la fin de la guerre froide, l’Europe de l’avenir doit se forger un destin plus offensif et plus ouvert, ce qui se traduit par son élargissement. l’Europe devra se profiler en tant que modèle unique de coopération et d’intégration. Il s’agit d’une coopération qui ne pourra s’arrêter à ses propres frontières, car les valeurs sociétales qu’elle incarne ne sont pas géographiquement limitées. Le globalistan et sa mondialisation – un phénomène presque biblique car il conduira à un plus lointain horizon à l’unification de l’humanité – produisent aussi pas mal de paradoxes et imposent une extrême exigence de flexibilité et d’adaptabilité, suscitant par un effet dialectique presque inévitable incompréhension, résistance et hostilité. La société de la connaissance en effet génère aussi pas mal d’ignorance à cause de la complexification croissante des phénomènes et des situations, à cause aussi du déferlement d’informations qui se transforme en désinformation, à cause de simplisme populistes que les dirigeants sont presque obligés à répandre étant donné qu’une explication nuancée et en profondeur des événements et des mutations s’avère impossibles dans une société qui elle-même souvent préfère les démagogues aux pédagogues.

Een nieuwe wereld en een nieuwe maatschappij worden geboren onder onze verbijsterde ogen waarmee wij vaak te veel kijken en te weinig zien, terwijl we teveel luisteren en te weinig horen en te veel spreken zonder iets te zeggen. Of het morgen beter wordt is niet zeker maar dat het anders wordt staat als een paal boven water. Het digitale universum is in opmars, de “wireless society”  komt er aan waardoor niet alleen de communicatie tussen personen ongekende uitbreidingen en toepassingen zal krijgen maar ook de communicatie tussen producten en dingen mogelijk wordt. De mens zal een steeds grotere controle krijgen op zijn omgeving, wat ook nodig zal zijn om het leefmilieu voor totale verschrompeling te behoeden. De nanotechnologie zal het mogelijk maken de atoomparticulen te manipuleren en totaal en nieuwe materies uit te vinden met ongekende eigenschappen. Hetzelfde geldt voor de biogenetica en haar toepassingen op planten en dieren en eventueel ook op mensen onder strikte voorwaarden van medische en ethische verantwoording. De toepassing van de kwantumfysica op de computerkunde en het vervangen van de binaire rekenkunde door zogenaamde superpositie zal leiden tot de productie van computers met een ongeëvenaarde capaciteit die het zullen mogelijk maken een van de aller moeilijkste opdrachten te vervullen: het simultaan vertalen van alle talen in alle andere talen. Onze kleinkinderen zullen wellicht over een paar tientallen jaren rondlopen met geminiaturiseerde  simultaan vertaalcomputers, verborgen in het montuur van hun bril of ingeplant in een of andere cariës in hun gebit of gevat in een piercing – eindelijk zal de piercing tot wat dienen – en zij zullen, die brave kleinkinderen van ons, rondkuieren op het Plein van de Hemelse vrede te Peking . De Chinezen zullen Chinees praten en de Belgen Frans en Nederlands en sommigen zelfs Duits en iedereen zal iedereen verstaan. Meteen zal het omgekeerde mirakel van Babel plaatsvinden en zal universalisme verzoend worden particularisme want de laatste barrière tussen individuen, namelijk de taalbarrière, zal worden opgeheven en toch zullen alle talen, die de ziel uitmaken van elk volk, blijven bestaan. De kans dat de politici onze taalproblemen oplossen is uitermate gering maar dat nieuwe technologieën het zullen doen is quasi zeker. Mijn verhaal over de aanstormende wervelwinden van vernieuwing en innovatie wordt eentonig en ik zou een hele lange waslijst kunnen voorlezen voor wat er te gebeuren staat op het vlak van de artificiële intelligentie,  de robotica, de automatie, de verovering van de ruimte, de geneeskunde en de farmacologie, de landbouw en veeteelt en last but not least een allernoodzakelijkste energetische revolutie die het moet mogelijk maken niet alleen de  fossiele en poluerende  brandstoffen te vervangen en dus het leefmilieu te schonen en zo te behouden,  maar die ook moet bijdragen aan de uitroeiing van armoede in de wereld, want die heeft in eerste instantie te maken met het vruchtbaar maken van de aarde en het waarborgen van voldoende watervoorziening, doeleinden die heel veel energie opslorpen. Duurzame ontwikkeling, want daarover gaat het, zal dan ook een algemene mobilisatie vergen van het menselijk vernuft in denken en doen. Dat daarbij het wetenschappelijk onderzoek op de voorpost zal dienen te staan hoeft niet onderstreept. Ontdekking, uitvinding en innovatie zullen hand in hand moeten gaan met industriële toepassing, efficiënt management, wereldwijde vrijhandel, loyale concurrentie maar ook een combinatie van competitie en coöperatie, zoals de “theory of Games” heeft aangetoond en wat vandaag onder economen leidt tot het aanmunten van een nieuwe term: “coöpetitie”. Wetenschappelijke doorbraken zijn uiteraard geconditioneerd door degelijke wetenschappelijke opleiding van mensen en door materiële voorzieningen waarvoor financiering is vereist. Maar bovenal geldt de kwaliteit van het menselijk vernuft, gevoed door nieuwsgierigheid en vindingrijkheid. Voor deze uitzonderlijke gaven hebben de Britten een prachtig woord, namelijk “serendipity” , waarvan de oorsprong teruggaat tot het verhaal van ik weet niet meer welke Engelse zeevaarder die bij toeval maar gedreven door zijn nieuwsgierigheid, een prachtig eiland ontdekte in de stille oceaan en dat hij ‘serendib’ doopte in navolging van de naam die door de inboorlingen aan hun eiland – het huidige Sri Lanka –  was gegeven.

Diepgaande en vaak onvoorspelbare veranderingen verwekken echter gevoelens van onzekerheid en onveiligheid. Daardoor verspreiden zich angstgevoelens in onze samenleving. Tegenover de uitspraak “de wereld is ons dorp” wordt de uitroep geplaatst “ons dorp is de wereld”. Veel burgers schrikken voor de aan aanstormende wijzigingen in hun bestaan die vaak gepaard gaan met toenemende aanpassingsvereisten, delocalisaties is en vervreemding. Sommigen kunnen dit niet verwerken en zoeken politieke beschutting in de bedrieglijke schuilplaats van extremisten die ofwel economisch protectionisme prediken en eisen dat buitenlandse producten worden buitengehouden ofwel cultureel protectionisme aanhangen en voorstellen zoveel mogelijk buitenlanders buiten te houden. Discriminatie van mensen en discriminatie van producten worden aldus aangeprezen als bedrieglijke recepten. Het gaat hier om paniekerige reacties die misschien begrijpelijk zijn maar die totaal contraproductief zijn en zeker niet toekomstgericht en die vaak ook niet ethisch verantwoord zijn. Soms nemen de angstgevoelens voor de aanstormende veranderingen pathologische vormen aan en roepen vaak jonge mensen de vertwijfeld uit: “stop de wereld ik wil er af”. De sociale, psychologische, didactische, zelfs juridische begeleiding van veel radeloze en reddeloze mensen in deze tijden van mutatie is dan ook van het allergrootste belang.

De allergrootste uitdaging reeds vandaag en nog meer morgen bestaat er evenwel in al die veranderingen die op ons afkomen om te zetten in echte menselijke vooruitgang. Want sommige veranderingen zijn goed en moeten we promoten; anderen zijn onvolmaakt en moeten we verbeteren en nog anderen zijn gevaarlijk en slecht en moeten we bestrijden. Meteen wordt het duidelijk dat een essentieel ethische vraagstelling onvermijdelijk wordt, die te maken heeft met het onderscheid tussen wat goed is en wat slecht is voor onze medeburgers, een vraagstelling die op haar beurt heel moeilijke problemen aan de orde stelt. In elk geval zal steeds meer vereist zijn alle veranderingen die ons overweldigen om te zetten in “echte menselijke vooruitgang”. Maar wie dit concludeert moet ook beseffen dat er nood is aan een afdoend inzicht in wat echte menselijke vooruitgang te betekenen heeft. En dit leidt dan tot de absolute noodzaak om ook de menswetenschappen in te schakelen in het humaniseren van verandering en vooruitgang, die hoofdzakelijk technologisch en door de exacte wetenschappen worden gestuurd. De cirkel is dus gesloten: alle aspecten van menselijk denken en weten, van kennen en kunnen moeten worden gemobiliseerd om de overweldigende en meeslepende veranderingsstroom te kanaliseren en te laten uitmonden in een meer menselijke samenleving. Een ware cultuur van de verandering moet in het leven worden geroepen en dit kan maar als we ook voldoende beseffen hoe andere en oude culturen met veranderingen en uitdagingen omgaan en zijn omgegaan.

Dit is voor de Francqui-Stichting een bijkomende reden om ook vandaag met onwankelbare overtuiging en toewijding naast de exacte en biologisch medische wetenschap, de menswetenschappen te steunen en te promoten . En dat doen wij vandaag en hoe.

De internationale jury belast met het beoordelen van de kandidaten voor de Francqui-Prijs heeft éénparig een voorstel gedaan dat door de raad van bestuur van de Francqui-Stichting werd goedgekeurd. Mag ik bij dezen aan de leden van de internationale  jury oprecht hulde brengen voor hun eminente deskundigheid en meer bepaald de voorzitter van de jury, professor Glen Dudbridge van de Oxford University, ten zeerste bedanken.  Het doet ons groot genoegen dat professor Peter Schreiner van de universiteit Köln hier vandaag met ons aanwezig is.

J’en viens maintenant à l’essentiel. Le lauréat est monsieur François de Callataÿ, directeur de la bibliothèque royale de Belgique et professeur à l’école pratique des hautes études de la Sorbonne à Paris, pour sa contribution exceptionnelle à la science de la numismatique.

Je vous lis la motivation du jury :

 

François de CALLATAY is making a revolutionary contribution to our understanding of the numismatics and the history of the classical world, and his methodological advances have implications for improving the study of many other past cultures.

His research publications are many in number and of a uniformly high quality. In particular he has advanced our understanding of the numismatic, monetary and financial history of the Hellenistic period (the last 300 years BC), a period during which the Greek social concept of coined money spread from the Mediterranean to Afghanistan.

He has made a decisive contribution to the debate between the primitivists and the modernists in the field of ancient economic history.  He has convinced the scholarly community that it is possible to make meaningful statements about the size of the ancient monetary economy, and that we need no longer rely solely on descriptive approaches.

The jury is convinced that François de CALLATAY’s work has transformed our understanding of the world of classical antiquity, both Greek and Roman.  This has implications for developing the political understanding of the role of historical precedents in the current debate about monetary and financial unions.

Qui est notre lauréat ?

François de Callataÿ est un historien de l’antiquité dont les travaux portent avant tout sur l’économie monétaire. En particulier, il a œuvré à quantifier les masses monétaires dans l’idée de faire des propositions de macro-économie pour l’antiquité gréco-romaine, et au delà. Cette quantification tient à la fois du calcul de probabilités (combien de matrices [de coins] monétaires a-t-on mis en service à l’origine pour frapper monnaie, sachant que nous en comptons aujourd’hui tel nombre et que nous observons pour elle tel type de distribution ?) et de l’exploitation des témoignages historiques sur la longue durée (afin de déterminer le nombre moyen d’exemplaires frappés pour chacun de ces coins). 

De 1984 à 2000, il aura fait connaître une dizaine de contributions, récemment republiées récemment sous forme de recueil, démontrant à force d’arguments renouvelés que les incertitudes, bien réelles, liées à ces extrapolations ne sont pas telles qu’elles doivent décourager l’entreprise. Ses travaux ont fait passer la communauté scientifique d’un fort scepticisme à une adhésion presque généralisée, teintée comme il se doit de prudence, quant à la validité d’une telle démarche. Travaillant sur des époques plus rapprochées comme les XVIe-XVIIIe s., il a pu montrer ex absurdo que la productivité moyenne des matrices monétaires nécessaires aux frappes antiques avait les meilleures chances de se situer au-delà des 10 000 exemplaires – et sans doute des 20 000 (au lieu des quelques milliers tout au plus que la plupart leur attribuait encore dans les années 1980). Démontrer cela et plus encore démontrer que ce type d’extrapolations est entaché d’un coefficient d’incertitude supportable, c’était ipso facto contribuer puissamment à donner à l’étude des monnaies antiques un rôle inédit et important aux yeux de l’historien de l’économie et de l’historien tout court.

Pour asseoir ses conclusions, François de Callataÿ s’est astreint à réunir et à recompter l’ensemble des données des quelque 600 études de coins monétaires publiées jusqu’ici (soit près de 100 000 monnaies) pour le monde grec, de l’archaïsme à la fin de la période hellénistique. Il en a tiré deux recueils, parus en 1997 et 2003, qui permettent d’étudier dans le détail le type de distributions observées. Ces matériaux lui ont permis de proposer d’abord, d’affiner ensuite un modèle général qui envisage dans l’absolu la masse de métal précieux monnayé à différents moments de la période hellénistique (323-31 av. J.-C.). Les résultats auxquels il a abouti reviennent à estimer la masse d’or monnayé en centaines de tonnes (c. 300 ?) et celle d’argent en milliers (c. 3.000 ?). On peut naturellement discuter de la valeur de ces chiffres mais il ne semble pas que leur ordre de magnitude, à tout le moins, puisse être remis en question. Le progrès est considérable.

Dépassant le cadre monétaire, François de Callataÿ s’est interrogé sur la part monnayée des métaux précieux au sein des grandes trésoreries royales. Ses conclusions l’amènent à considérer que cette part fut somme toute limitée et que les métaux précieux eux-mêmes n’ont pas constitué une partie prépondérante des rentrées, lesquelles ont continué, jusqu’à la fin de l’Antiquité gréco-romaine sans doute, à être versées en nature.

Elargissant encore les perspectives, François de Callataÿ s’est récemment essayé à quantifier les performances économiques sur la très longue durée, à savoir les quatre derniers millénaires, en se fondant notamment sur la pollution atmosphérique par le plomb et le cuivre enregistrée dans les glaces du Groenland et ailleurs. Une telle enquête débouche sur des résultats surprenants. Il apparaît que la production d’argent (la pollution par le plomb) connaît un pic pour les deux derniers siècles avant notre ère et les deux premiers siècles de notre ère qui ne sera plus atteint avant le XVIIe s. On en arrive ainsi à une vision plus précise de l’économie antique qui, sur le plan de la monétarisation, a connu, à la fin de la période hellénistique et durant le Haut Empire romain, un développement longtemps inégalé (ce que confirment d’autres types de raisonnement : PNB ou PIB par habitant, importance des trouvailles monétaires relatives à chaque époque, masse et stock monétaires par habitant).

La quantification des espèces monétaires dans l’Antiquité permet de tracer une voie nouvelle dont l’apport, qui commence seulement à être exploité, se révèle régulièrement décisif pour l’histoire économique des mondes grec et romain. Le vieux débat entre « primitivistes » et « modernistes » s’en trouve rafraîchi.

Par ailleurs, comme tout historien, François de Callataÿ ancre ses recherches dans une époque et une aire géographique. Les trois siècles de la période hellénistique (323-31 av. J.-C.) forment le cœur de travaux qui couvrent une large zone, de la Sicile à l’Afghanistan et de la Mer Noire à l’Égypte, pour s’intéresser, en particulier, aux fonctionnements économiques des royaumes. Il a beaucoup publié sur Alexandre le Grand et est un des bons connaisseurs des grands royaumes séleucide et ptolémaïque. Il est l’un des meilleurs spécialistes de la dernière grande figure de cette période, Mithridate Eupator, roi du Pont (c. 132-53 av. J.-C.) auquel il a consacré sa thèse de doctorat. Exploitant l’extrême précision chronologique des séries monétaires de cette époque (les monnaies de Mithridate lui-même sont datées au mois près !), François de Callataÿ arrivait à la proposition dissymétrique suivante : les monnaies des rois (et même de certaines cités) ont été frappées pour payer les troupes mais, étant donné l’insuffisance des numéraires émis, les troupes n’ont pas été payées avant tout en monnaies. D’autres travaux d’ensemble ou plus particuliers sont venu asseoir, s’agissant des masses monnayées, ce constat du « beaucoup (plus qu’on ne se le figurait) mais pas assez (moins qu’il n’en eût fallu pour répondre aux besoins supposés) » qui oblige à repenser la finalité des frappes monétaires.

Avec celles d’autres spécialistes, ses recherches on pesé sur la perception du fait monétaire antique dans son ensemble. Prenant ses distances avec la vision d’Aristote qui favorise une compréhension étymologique de la monnaie (nomisma) liée à la loi (nomos) et donc vecteur égalitaire de démocratie, François de Callataÿ a démontré combien était fort, pour les monnayages d’or et d’argent, le lien avec des dépenses publiques, majoritairement à caractère militaire. D’une façon générale, c’est une vision pragmatique et assez peu planifiée qui ressort de ses études où n’apparaît pratiquement jamais, dans le chef du pouvoir émetteur, le souci d’alimenter la circulation monétaire de façon adéquate pour le bon déroulement des transactions quotidiennes. Ses travaux ont aussi contribué à modifier nos idées, en les revoyant à la baisse, s’agissant de thèmes comme « la monnaie comme signe d’autonomie civique », « l’image monétaire comme vecteur de propagande » ou « la rationalité économique des sociétés antiques ».

Mesdames et Messieurs, la monnaie est une des inventions en les plus géniales de l’homme depuis il se promène sur cette planète. La monnaie d’emblée joua le rôle d’un bien intermédiaire qui mit fin à l’échange direct de biens et de services appelés troc ou barter. La monnaie a rendu possible la multilatéralisation des échanges commerciaux et dès lors leur développement dans des espaces transe frontaliers et internationaux de plus en plus vastes. La monnaie exerça rapidement ces trois fonctions fondamentales: instruments d’échange et moyen de payement, moyen de compte et instrument de crédit et d’ épargne. L’impact de l’usage de plus en plus généralisé de la monnaie sur le développement des civilisations fut tout à fait essentiel. L’idée de frapper des pièces en métal précieux est née autour de la mer Égée vers 650 avant JC et plus particulièrement à Sardes en Lydie, située dans la Turquie d’aujourd’hui. Les économistes expliquent qu’antérieurement à l’utilisation du métal précieux comme l’or, l’argent et le bronze, d’autres biens exercèrent les fonctions monétaires tels les pierres précieuses, des objets rares ou artistiques, le bétail, appelé pécos en grec, dont est dérivé le mot latin de pecunia et le mot français de pécuniaire. En présence de notre lauréat, éminent spécialistes en numismatique, je ne me permettrai pas de retracer l’histoire passionnante de l’argent, un mot qui vise la monnaie dès lors que, surtout à partir de Charlemagne et faute de d’approvisionnement suffisant en or, l’on dut se résigner à mettre en circulation une nouvelle monnaie de référence, le denier d’argent. Et puis commença un parcours fascinant qui nous amène à la Renaissance Italienne avec la création des premières banques et la mise en circulation des billets de banque, d’abord représentative du dépôt de pièces de monnaie, par après devenant une monnaie fiduciaire, grâce au développement du crédit. S’amorça ensuite un processus de dématérialisation de la monnaie par l’apparition de la monnaie scripturale, des différentes formes de quasi-monnaie et de moyens de paiement ou de compte international, pour aboutir à la monnaie électronique est presque virtuelle et les opérations on line d’aujourd’hui. Bienfait du Ciel ou tentation diabolique, qui n’aimerait l’argent ? Au delà du numéraire, et du fétichisme, qui lui est toujours plus ou moins attaché, la monnaie ne peut être utilisée qu’en devenant l’objet le plus abstrait qui soit, ce qui a bouleversé notre vision du temps et de l’espace. Le crédit nous permet de dépenser aujourd’hui ce que nous gagnerons demain et l’épargne de dépenser demain ce que nous aurons gagné aujourd’hui et cela où que nous nous trouvions sur la planète. Et comme la monnaie est inséparable de l’émergence de la pensée abstraite, elle l’est également de ce que l’on a appelé le « miracle grec ». Le lauréat de par ses recherches à dès lors mis à jour des facteurs essentiels de notre civilisation.

Mesdames Messieurs, la Fondation Francqui, consciente de ses responsabilités quant à la stimulation de la recherche scientifique et la promotion d’un climat sociétal propice à susciter des vocations scientifiques, avait déjà décidé l’année passée de porter le montant du prix Francqui de 100.000 à 150.000 euros. S’ajoute à cela un montant de 25.000 € dont le lauréat pourra disposer dans le cadre de ses recherches et expériences. Le lauréat pourra, en outre avec un appui financier de la fondation, organiser un grand colloque scientifique en faisant appel à des spécialistes internationaux. En additionnant tous les avantages le prix Francqui représente aujourd’hui pour le lauréat une enveloppe financière qui le situe, comparé à ce qui se fait à l’étranger, parmi les prix les plus s’élevés mais aussi les plus prestigieux mis à la disposition de la communauté scientifique. Nous avons aussi pris l’initiative de faire imprimer une brochure, qui est mise à la disposition des personnes présentes et qui con tient un rapport des principales activités de la fondation Francqui. Faute de temps je me imite à une nouvelle initiative d’importance à savoir la création de quatre mandat post-doctoraux dits intercommunautaires, qui doivent être effectués dans une université appartenant à une autre communauté linguistique que celle du bénéficiaire   

Je rend hommage à tous ces savants, tous des pionniers et des monuments qui ornent la galerie d’honneur de la fondation Francqui. En la passant en revu nous devons réfléchir un instant à la condition humaine du scientifique et à l’énigmatique passion qui le pousse à conquérir la terra incognita de notre ignorance pour y planter les étendards du savoir humain.  Certes,  la pratique de la science est une vocation comparable au sacerdoce. Elle est infiniment exigeante. Celui qui est appelé par elle doit dire adieu à la richesse, au succès populaire et à toute carrière plane et programmée. La science est redoutable. Elle vous fait perdre vos certitudes. Elle est déconcertante et pas toujours fiable. Celui qui s’y livre sera comblé parfois de succès, souvent de satisfaction, toujours d’impatience.  Elle force l’homme de science à douter de lui-même et à poursuivre la recherche de la vérité, même si elle est introuvable. Il n’est pas impossible qu’elle entraîne la scission entre la connaissance et la sagesse. Elle rend schizophrène. La science sacrifie parfois la réalité à la vérité. Et elle ressemble fréquemment  à un cimetière jonché d’hypothèses.

C’est le cruel privilège de l’homme d’être destiné à la réflexion. Le scientifique fait l’expérience de ce privilège à la énième puissance, ce qui rend cette expérience exaltante mais douloureuse. Elle fait de lui un perpétuel insatisfait. Le scientifique n’est jamais assuré que de son incertitude. Et nous devons constater en toute modestie que ce n’est pas notre science, mais  notre ignorance qui est encyclopédique.

Nu breekt eindelijk het ogen blik aan waarop we de glansrijke lijst van Francquilaureaten gaan vervolledigen door de toekenning van de Francqui-Prijs aan een uitmuntend geleerde en cultuurdrager , met name professor  François de Callataÿ.

Mag ik thans zijne koninklijke hoogheid Prins Philip verzoeken de Francquiprijs 2006 aan de heer François de Callataÿ  uit te reiken.

* * *  

Discours du Professeur François de Callataÿ

 

Monseigneur,

Mijnheer de Minister, Dames en Heren, Mesdames et Messieurs,

Récompense scientifique sans égale en Belgique, dont votre présence aujourd’hui, Monseigneur, souligne le rôle exceptionnel, le Prix Francqui comble de joie ses lauréats.

Remerciements

Eerst en vooral wil ik uiting geven aan mijn grote erkentelijkheid jegens de Stichting Francqui, haar raad van bestuur en de internationale jury die mij waardig heeft bevonden om dit jaar de prijs in de categorie menswetenschappen in ontvangst te nemen. Vandaag precies 75 jaar geleden, in 1932, beslisten Émile Francqui en Herbert Hoover de Stichting Francqui op te richten met als doel het fundamenteel onderzoek in België aan te moedigen. Iedereen zal het met mij eens zijn dat geschiedenis in het algemeen en oude geschiedenis in het bijzonder zelden als toegepaste wetenschappen worden beschouwd. We moeten dan ook blij zijn dat er in ons land een illustere en invloedrijke stichting bestaat die overeenkomstig haar statuut blijk geeft van een onwrikbaar geloof in het onbaatzuchtig fundamenteel onderzoek.

Au moment de recevoir cette prestigieuse récompense, je pense en premier lieu à mes parents, qui ont inculqué à leurs trois fils le goût du beau et de l’effort, ont porté sur eux un regard d’amour admiratif et, dans mon chef, n’ont pas fait barrage à une vocation dont ils pouvaient craindre les aléas.

Parmi tous les professeurs qui m’ont formé et que je remercie collectivement, deux d’entre eux, hélas disparus, ont exercé une influence déterminante sur ma passion tôt déclarée pour l’histoire et les sociétés antiques. Henri Boigelot, d’abord, au collège Saint-Pierre à Uccle, me fit découvrir l’histoire non seulement comme un récit plaisant et animé, mais d’abord comme un objet de recherche exigeant, qui va de la détermination du fait jusqu’à la synthèse. Tony Hackens ensuite, avec son enthousiasme communicatif, à l’Université catholique de Louvain, orienta ma vie plus que tout autre (mais comme d’autres) en fournissant un cadre thématique et chronologique à mes recherches : les monnaies de la Grèce antique. Ce fut un émerveillement, comme une année passée à l’École française d’Athènes acheva bientôt de m’en convaincre ; je tiens à redire à son épouse ici présente la chance mesurée chaque jour d’avoir eu Tony Hackens pour mentor.

Ma dette s’exprime envers le Fonds National de la Recherche Scientifique qui, dans les années 1980, m’a procuré durant six ans les meilleures conditions pour mener à bien une thèse de doctorat et maintenir bien ouverts les battants de la curiosité.

C’est en 1991 que j’entrai à la Bibliothèque royale de Belgique, où s’était ouvert à vrai dire le seul poste qui existât en rapport avec mes compétences les plus spécifiques : celui de conservateur des monnaies antiques du médaillier national. Je suis redevable envers Pierre Cockshaw d’avoir passé, sous sa tutelle de conservateur en chef, une décennie très favorable à la conduite de la recherche. Un ami en a remplacé un autre à la tête de la Bibliothèque royale : Patrick Lefèvre a succédé à Pierre Cockshaw à un moment qui a coïncidé, tout naturellement chez moi, avec le souci de davantage œuvrer pour le bien de l’institution. C’est dès lors un privilège de travailler aux côtés d’un « grand commis de l’Etat » tel qu’il l’incarne, qui a su insuffler en peu de temps une dynamique pour la Bibliothèque dont nous voulons tous croire qu’elle est porteuse d’un avenir prometteur.

Enfin, je voudrais remercier les deux académiciens d’exception qui ont présenté ma candidature : Jean Bingen et Georges Le Rider. C’est un honneur d’avoir été présenté par deux aussi grands savants. En particulier, il est très émouvant pour moi de saluer la présence ici de Georges Le Rider, à qui je dois tant. Membre de l’Institut de France, professeur honoraire au Collège de France et ancien administrateur général de la Bibliothèque nationale, Georges Le Rider n’a cessé de porter sur moi – depuis la parution de mon premier article en 1982 – un regard animé de toutes les bienveillances. Durant toutes ces années, près d’un quart de siècle à présent, il fut pour moi la première instance scientifique, celle dont on recherche avant toute autre l’approbation. C’est lui qui, un jour de février 1995, m’a fait part de son désir de me voir lui succéder à l’École pratique des Hautes Études à Paris. Voilà dix ans que j’ai le bonheur de prendre le chemin de la Sorbonne tous les jeudis pour dispenser un enseignement d’Histoire monétaire et financière du monde grec. Je suis fier et heureux de témoigner publiquement aujourd’hui à Georges Le Rider ma dette prioritaire à son endroit.

L’histoire ancienne

Le jury international a donc attribué le Prix Francqui 2007 en Sciences humaines à un historien de l’antiquité gréco-romaine. La notoriété du Prix Francqui honore – on le sait –, au-delà du lauréat, la discipline qu’il pratique et l’institution à laquelle il appartient. Je voudrais dire un mot de l’une et de l’autre. Et d’abord vous parler de la recherche historique.

Le grand public n’assimile pas facilement ces deux mots. La recherche, entend-on souvent, se doit de faire des découvertes (et des découvertes utiles). Il voit les avancées du monde médical, celles des technologies au sens large, des nano-sciences jusqu’à l’astrophysique ; il ne voit pas les progrès engendrés dans le vaste champ de l’histoire. Je voudrais profiter de cette tribune pour plaider avec vigueur l’idée d’avancées majeures au sein des études historiques. Et tout d’abord lever un malentendu : le mode d’avancée le plus puissant des études historiques n’est pas de faire des « découvertes ». Certes, l’archéologie, par exemple, procure ce sentiment et le grand public se passionne alors pour la mise au jour de sites ensevelis. Le mode d’avancée le plus puissant en histoire est d’abord de retrancher du faux, en serrant le passé au plus près, en écartant l’improbable. On comprend dès lors que de tels progrès, faits pour ainsi dire en négatif, se prêtent mal à des effets d’annonce médiatiques.

Et pourtant, les travaux accumulés de dépouillement et d’édition permettent d’aller plus loin, de proposer des synthèses, puis des méta-synthèses, qui réduisent sans cesse le champ de la subjectivité. Bien des questions abordées de nos jours étaient encore réputées intraitables il y a vingt ans. Mes travaux – ceux couronnés par ce prix – en fournissent une illustration. Dans les années 1930, des voix s’étaient élevées pour souhaiter que l’on parvienne un jour à quantifier les masses monnayées dans l’antiquité. Au début des années 1980, cette tâche paraissait encore hors de portée quoique le calcul de probabilités avait fait son apparition et qu’il existât une dizaine déjà de méthodes spécifiques s’attachant, à partir des distributions observées, à estimer le nombre originel de coins monétaires. Mes recherches ont notamment visé à passer de ce nombre originel de coins au nombre de monnaies, c’est-à-dire à définir le nombre moyen d’exemplaires par coin monétaire. Il ne s’est jamais agi de découvrir le nombre juste, mais de s’approcher de la réalité en réduisant l’incertitude de façon à rendre la procédure acceptable. Je pense avoir montré que les extrapolations proposées font mieux que donner un ordre de magnitude : elles peuvent, à la rigueur, être divisées ou multipliées par deux, mais pas par trois. Dès lors, s’ouvrait la possibilité non seulement de réconcilier l’étude des monnaies (la numismatique) avec l’histoire économique en tenant un discours de type macro-économique pour l’antiquité, mais aussi – et au-delà – de revoir le rôle joué par la monnaie dans le monde gréco-romain. Une porte s’est ouverte qui appelle de riches développements.

Il est un autre motif pour lequel je voudrais remercier le jury d’avoir fait porter son choix sur l’histoire ancienne. Un des dangers de notre monde, bien identifié comme tels par les spécialistes de prospective, – et plus encore du monde de demain – est d’assister à un abaissement qualitatif du niveau de l’information qui privilégie toujours plus l’émotion sur le fait. Les médias en général sont de moins en moins formés et attentifs à la recherche opiniâtre du fait. L’émergence récente de millions d’internautes autoproclamés journalistes constitue à ce sujet une menace dont il y a lieu de se préoccuper. Or il se trouve que, parmi l’éventail de formations dispensées à l’université, nulle autre plus que l’histoire n’insiste davantage sur la critique du document. C’est pourquoi du reste le cours de critique historique, ce fleuron de l’université dont on voudrait qu’il en constitue la marque distinctive, est-il imposé ou proposé très au delà des études d’histoire et même des facultés de Philosophie et Lettres. S’ajoute en histoire ancienne tout l’apport historique de la philologie classique, avec sa rigueur, la précision de son apparat critique, l’ampleur de ses notes infra-paginales. L’admiration pour  ce que les Allemands appellent l’Altertumwissenschaft, la Science de l’antiquité, porte sur cette exigence rigoureuse dans la recherche qui ne tient rien d’assuré sans preuve quitte à verser dans l’hypercritique. Ainsi définis, notre monde a grand besoin d’historiens.

De federale wetenschappelijke instellingen

Ik ben de jury eveneens dankbaar, omdat hij heeft geïnnoveerd en zijn keuze voor de eerste keer liet vallen op een laureaat die niet verbonden is aan een universiteit maar wel aan een federale wetenschappelijke instelling, in dit geval de Koninklijke Bibliotheek van België.

België telt tien grote federale wetenschappelijke instellingen die onder de bevoegdheid vallen van de Minister van Economie, Energie, Buitenlandse Handel en Wetenschapsbeleid en van de voorzitter van het Directiecomité van het Federaal Wetenschapsbeleid. Deze tien instellingen zijn: het Algemeen Rijksarchief, de Koninklijke Bibliotheek van België, het Studie- en Documentatiecentrum Oorlog en Hedendaagse Maatschappij, het Instituut voor Ruimte-aëronomie, het Koninklijk Meteorologisch Instituut, het Koninklijk Instituut voor het Kunstpatrimonium, het Koninklijk Instituut voor Natuurwetenschappen, het Koninklijk Museum voor Midden-Afrika, de Koninklijke Musea voor Kunst en Geschiedenis, de Koninklijke Musea voor Schone Kunsten en de Koninklijke Sterrenwacht.

Vaak wordt de aandacht gevestigd op het rijke patrimonium dat de Belgische Staat via deze wetenschappelijke instellingen bezit. Het patrimonium van elke instelling is nagenoeg altijd uniek voor wat betreft onze gewesten en behoort gewoonlijk en onbetwistbaar tot de tien meest prestigieuze instellingen van hetzelfde type wereldwijd. Bovendien tellen de federale wetenschappelijke instellingen enkele honderden uiterst bekwame vorsers die, op het niveau van de Staat, een niet te veronachtzamen deel uitvoeren van de onderzoeksactiviteiten die worden gefinancierd met overheidsgeld. De taak van die onderzoekers is niet alleen beperkt tot het valoriseren van dit patrimonium, door het te bewaren en zijn bekendheid te vergroten, want daarnaast produceert ieder van hen kennis op zijn vakgebied. In heel wat gevallen zijn ze overigens de enigen in België die instaan voor de ontwikkeling van die kennis, die niet of nauwelijks valt onder de leerstof aan de universiteiten.

Puisse ce Prix Francqui apparaître comme une reconnaissance et un encouragement pour l’excellence des recherches menées au sein des établissements scientifiques fédéraux. D’autant que ce prix tombe bien à propos, à un moment où une réforme en cours du statut du personnel scientifique amènera nécessairement quelques-uns de nos meilleurs chercheurs à faire le choix d’un recyclage contre-nature qui les fera passer de la recherche à la gestion. Il est très compréhensible que l’État – et singulièrement les directeurs généraux à la tête des établissements scientifiques – souhaite une meilleure efficacité des services et éprouvent le besoin de s’appuyer sur des têtes bien faites. Mais, en termes d’exploitation maximale de ses ressources précisément, il n’est pas heureux pour l’État de voir des spécialistes qui lui ont coûté cher être reconvertis bon gré mal gré pour des tâches plus générales que d’autres pourraient assumer à moindre coût de formation.

Monseigneur,

Au-delà de la joie, de l’émotion et de la gratitude que j’éprouve aujourd’hui, je voudrais former deux vœux, que d’autres n’ont pas manqué de formuler avant moi. Le premier est personnel : que cette distinction majeure demeure pour moi et pour les décennies à venir ce qu’elle est explicitement, à savoir un prix d’encouragement à poursuivre les recherches, et non pas le point culminant d’une carrière qui s’autoriserait à présent le relâchement. Il faudra y veiller. Le second est collectif : que les différents acteurs politiques de ce pays investissent davantage dans la recherche, en ce compris la recherche fondamentale en sciences humaines. On ne répétera jamais assez combien celle-ci est porteuse d’avenir pour tous.

La Belgique peut s’enorgueillir de ses chercheurs et notamment de tous ceux qui travaillent au sein des établissements scientifiques fédéraux à qui je souhaite dédier cette marque très concrète de reconnaissance. En leurs noms et au mien, nous disons à la Fondation Francqui : merci !

 

François de Callataÿ