1999 – Rapport Jury Marc Parmentier

 

Remise solennelle du Prix Francqui
par Son Altesse Royale le Prince Philippe
à la Fondation Universitaire le 9 juin 1999

Curriculum Vitae – Résumé des activités de recherche –
Rapport du Jury – Discours


Marc Parmentier

Curriculum Vitae

Diplômes universitaires

Docteur en Médecine, Université Libre de Bruxelles, 1981
Agrégé de l’Enseignement Supérieur, Université Libre de Bruxelles,  1990

Fonctions académiques

Chargé de Cours associé à l’Université Libre de Bruxelles depuis 1995

Curriculum vitae

Aspirant FNRS, ULB, 1981-1986
Chargé de recherches  FNRS, IRIBHN, ULB 1986-1990
Chercheur qualifié FNRS, puis Maître de recherche FNRS, IRIBHN, ULB, 1990-1994
Chargé de Cours associé, IRIBHN, Université Libre de Bruxelles, 1995

Divers

Lauréat du Concours de Bourses de Voyage, 1983
Prix Marc Herlant, 1985
Prix Galien de Pharmacologie, 1991
Lauréat de la Belgian Endocrine Society Lecture, 1993
Prix Harrington De Visshere van de l’European Thyroid Association , 1994
Prix Merck-Sharpe and Dohme, 1997
Prix Liliane Bettencourt pour les Sciences du Vivant, 1998
Membre correspondant de l’Académie Royale de Médecine de Belgique

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Résumé des activités de recherche

Les communications entre cellules sont à la base de l’organisation des organismes pluricellulaires. Dans les organismes complexes, les cellules échangent entre elle une variété extraordinaire de signaux qui permettent d’assurer leur coordination et le fonctionnement harmonieux de l’ensemble. Ces nombreux signaux qui voyagent dans l’organisme sont reconnus par un nombre équivalent de récepteurs qui reconnaissent chacun un signal avec une grande spécificité. A l’exception d’un petit nombre de récepteurs localisés dans le noyau des cellules, la grande majorité des récepteurs sont présents à leur surface. Lorsque le signal extracellulaire (ligand) se lie à son récepteur, il en résulte une cascade d’événements intracellulaires et une modification des propriétés de la cellule qui porte ce récepteur. On peut classer les récepteurs membranaires en différentes familles, selon la nature des modifications apportées aux fonctions cellulaires, mais aussi selon la structure des récepteurs eux-mêmes. Nous nous intéressons à une famille de récepteurs dont la chaîne d’acides aminés traverse sept fois la membrane de la cellule. Ces récepteurs modifient les fonctions cellulaires par l’intermédiaire d’une catégorie de protéines appelées protéines G, et sont dès lors appelés récepteurs couplés aux protéines G. Ces récepteurs constituent de loin la plus nombreuse des familles de récepteurs membranaires. Plus de 120 de ces récepteurs sont actuellement connus. Ils règlent des fonctions aussi essentielles que le rythme cardiaque et la pression sanguine, l’élimination d’eau et d’ions par le rein, le fonctionnement de glandes endocrines comme l’hypophyse, la thyroïde et la surrénale, les défenses immunitaires, et toutes les fonctions cérébrales telles la faim, les émotions ou le contrôle des mouvements. La diversité des fonctions contrôlées par les récepteurs couplés aux protéines G explique aisément pourquoi ils constituent les cibles de la majorité des agents pharmacologiques actuellement utilisés en thérapeutique.

Si la famille des récepteurs couplés aux protéines G compte aujourd’hui 120 membres identifiés, il en est un nombre équivalent dont la fonction est encore inconnue. Ces récepteurs sont dès lors qualifiés d’orphelins. On ne connaît ni les molécules messagères qui les activent, ni les fonctions cellulaires qu’ils contrôlent. Au vu des applications thérapeutiques innombrables des récepteurs connus, ces récepteurs orphelins constituent autant de cibles thérapeutiques potentielles, et la caractérisation de leur fonction devrait ouvrir la voie au développement de nouvelles molécules à activité thérapeutique.

Nous avons commencé à nous intéresser aux récepteurs couplés aux protéines G à la fin des années 80, à une époque ou la structure de très peu de ces récepteurs était connue (5 ou 6 tout au plus). L’objectif du travail était à ce moment d’isoler (cloner) l’acide nucléique codant pour le récepteur de la thyrotropine, l’hormone qui contrôle la fonction de la glande thyroïde. Dans le cadre de la recherche de ce récepteur, une méthode générale de clonage par homologie a mené à l’isolement de plus de 40 fragments de gènes codants pour de nouveaux récepteurs couplés aux protéines G. Ces récepteurs ont constitué les premiers de ces récepteurs orphelins, dont les ligands étaient inconnus. Parmi ces récepteurs orphelins se trouvait le récepteur de la thyrotropine, qui a été le premier caractérisé. Nous avons ensuite décidé de poursuivre la caractérisation des autres récepteurs orphelins.

Deux récepteurs présents dans le cerveau ont été identifiés comme les premiers récepteurs de l’adénosine, les récepteurs qui constituent le site d’action de la caféine. Nous avons récemment étudié plus avant la fonction d’un de ces récepteurs en invalidant son gène chez la souris, et en démontrant que l’activité de ces souris n’était plus stimulée par la caféine. Ont également été caractérisés le récepteur des agents actifs du cannabis, pour lequel un autre modèle d’invalidation génique chez la souris a été établi. Certains des récepteurs orphelins se sont également révélés appartenir à la grande famille des récepteurs olfactifs. Nous avons démontré que certains de ces récepteurs sont exprimés dans les cellules de la lignée germinale mâle, et sont exposés à la surface des spermatozoïdes matures, suggérant un rôle dans la chémoattraction des spermatozoïdes pendant la fertilisation.

Un récepteur orphelin, structurellement apparenté aux récepteurs opioïdes a été isolé et appelé ORL1. Il ne répondait pas aux ligands opiacés, à l’exception de l’étorphine, qui inhibait, à hautes concentrations, l’accumulation d’AMP cyclique dans une lignée transfectée. La lignée cellulaire a été utilisée dans un bio essai, dans le but d’isoler le ligand naturel à partir d’extraits cérébraux de rat. La molécule active s’est révélée être un nouveau peptide de 17 acides aminés, partageant une homologie de structure avec la dynorphine A, un des agonistes naturels des récepteurs opioïdes. Il a été montré que le peptide était doté de propriétés pro algiques, et celui-ci a dès lors été appelé nociceptine. Le précurseur de la nociceptine a été isolé de trois espèces de mammifère, démontrant l’existence d’autres peptides dérivés du précurseur et dotés d’activités biologiques. Ce travail a constitué le premier exemple de l’identification de novo d’un neuropeptide, à partir de l’identification génétique du récepteur correspondant, une approche maintenant qualifiée de pharmacologie inverse.

Un nouveau récepteur des chimiokines, CCR5, a été caractérisé. Ce récepteur s’est révélé être le principal co-récepteur pour les virus de l’immunodéficience humaine (VIH-1 et VIH-2), nécessaire à l’entrée des virus dans ses cellules cibles, en plus du récepteur viral traditionnel, le CD4. C’est en effet le co-récepteur utilisé par les souches macrophage-tropiques de VIH, souches qui sont responsables de la transmission de la maladie. Ce rôle central a été démontré par l’existence d’une mutation de CCR5, fréquente dans les populations d’origine européenne, et capable de protéger les porteurs homozygotes de l’infection par le VIH. Cette mutation n’a par ailleurs pas d’effet néfaste pour la santé des individus qui la portent. Les hétérozygotes présentent quant à eux une évolution plus lente vers les stades cliniques du SIDA.

Certains des récepteurs caractérisés dans le laboratoire constituent des cibles pour l’industrie pharmaceutique. L’exemple le plus marquant est certainement le récepteur CCR5, suite à la démonstration de son rôle de co-récepteur pour le virus du SIDA. CCR5 est considéré actuellement comme une cible très crédible pour le développement de médicaments anti-viraux, et les principales sociétés pharmaceutiques ont entrepris de développer des molécules actives sur ce récepteur. Le clonage de récepteurs comme les récepteurs adénosine et cannabinoïde, et la caractérisation de leur rôle in vivo dans des modèles murins a également contribué à préciser les domaines d’application thérapeutique de chacun de ces récepteurs. D’autres récepteurs sont considérés comme cibles thérapeutiques potentielles, comme le récepteur ORL1. La caractérisation du récepteur de la thyrotropine a également mené au développement de nouveaux tests diagnostiques des maladies thyroïdiennes, qui sont en passe de remplacer les anciens tests basés sur l’utilisation de matériel animal.

La caractérisation de la fonction de récepteurs orphelins est actuellement une activité croissante dans les sociétés pharmaceutiques et de biotechnologie. Cette approche, que nous avons initiée, est appelée à influencer grandement l’évolution de la recherche pharmaceutique. Nous travaillons actuellement à la caractérisation d’un nombre croissant de récepteurs orphelins. Le nombre de ces récepteurs a augmenté considérablement au cours des années. On peut compter actuellement plus de 120 récepteurs orphelins, et malgré l’identification régulière de certains d’entre eux, on peut s’attendre à accroissement de ce nombre suite à l’avancement du programme de séquençage du génome humain. Nous nous focalisons actuellement sur deux familles principales de récepteurs : d’une part, des récepteurs orphelins présent dans le cerveau, qui mèneront vraisemblablement à l’identification de nouveaux peptides cérébraux, et à la caractérisation de nouvelles voies de signalisation dans le système nerveux central. D’autre part, nous nous intéressons à des récepteurs présents dans les cellules du système immunitaire, qui devraient mener à la caractérisation de nouvelles molécules impliquées dans la régulation des fonctions immunitaires.

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Rapport du Jury (10 Avril 1999)

Considérant que dès ses premiers travaux, le Professeur Marc Parmentier a été associé à une série de contributions reconnues internationalement, notamment dans les domaines de la communication cellulaire via les récepteurs membranaires et les mécanismes de signalisation impliqués dans ce processus;

considérant que l’étendue et la profondeur de ces études ont influencé un nombre de disciplines incluant l’endocrinologie, la neurobiologie et la virologie;

considérant ses observations fondamentales sur la structure et la fonction des récepteurs couplés aux protéines G, et l’importance particulière des contributions du Professeur Parmentier dans le domaine des co-récepteurs du virus de l’immunodéficience humaine et de leur rôle principale dans la pathogenèse du virus;

Décide d’attribuer le Prix Francqui 1999 à M. Marc Parmentier, Professeur à l’Université Libre de Bruxelles.

Jury international dans lequel siégeaient :

Le Professeur Wolfgang PFLEIDERER
Professor at the University of Konstanz

Department of Chemistry
Konstanz – Allemagne
                                                     Président

et

Le Professeur Fritz H. BACH
Director of the Immunobiology Research Center

Beth Israel Deaconess Medical Center
Lewis Thomas Professor Harvard Medical School
Boston MA – USA

Le Professeur Michael J. BERRIDGE
Professor at the Babraham Institute

Laboratory of Molecular Signalling
Cambridge – UK

Le Professeur Keld DANO
Professor at the University of Copenhagen

Director of the Finsen Laboratory
Rigshospitalet
Danemark

Le Professeur Raymond A. DWEK
Director of the Glycobiology Institute

Professor at the University of Oxford
UK

Le Professeur Richard EBSTEIN
Professor at the Sarah Herzog Memorial Hospital

Ben Gurion University of the Negev
Director of the Centre for the Study Complex Diseases and Aging
Jerusalem – Israel

Le Professeur Craig GERARD
Professor at the Harvard Medical School

Children’s Hospital
Perlmutter Laboratory
Boston – USA

Le Professeur Jean GIRARD
Professor at the University of Paris V

Centre de Recherche « Endocrinologie et métabolisme » – C.N.R.S.
Meudon-Belleville – France

Le Professeur William HILL
Professor at the University of Edinburgh

Institute of Cell, Animal and Population Biology
UK

Le Professeur Carl H. JUNE
Professor of Molecular and Cellular Engineering and Medicine
University of Pennsylvania

USA

Le Professeur Rolf KEMLER
Professor and Director of the Max-Planck-Institut für Immunobiologie
Freiburg – Allemagne

Le Professeur J. LEAVER
Professor at the University of Oxford

Head of Department of Plant Sciences
UK

Le Professeur Colin SANDERSON
Professor at the Institute for Child Health Research
TVWT – Molecular Immunology Division
West Perth – Australie

Le Professeur Mark WAINBERG
Professor at the Jewish General Hospital
Director at the McGill University AIDS Centre

Montreal, Québec – Canada

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Discours du Baron Jacques Groothaert,

Président de la Fondation Francqui

 Monseigneur,

Nous remercions le Prince d’honorer de sa présence cette cérémonie de remise du Prix Francqui 1999.

Chaque année, elle donne l’occasion d’attirer l’attention sur l’importance vitale de la recherche scientifique, d’exprimer fierté et satisfaction devant la qualité, internationalement reconnue, du travail de nos chercheurs et de nos institutions universitaires, et aussi de formuler des regrets et d’énoncer des motifs d’inquiétude face à la faiblesse des moyens dont ils disposent par accomplir leur tâche.

Parmi les multiples défis que rencontre l’Europe dans un monde sans cesse en transformation, celui de la compétitivité scientifique et technologique figure au premier plan.  L’Europe fait face aux défis concurrentiels d’une société post-industrielle informatisée, dont elle n’est plus le modèle,  dès lors que lui échappe la maîtrise d’une mondialisation dont elle avait pourtant montré la voie, dans tous les domaines, depuis un demi-millénaire.  Elle disposait – et, soulignons-le, elle dispose encore – d’atouts considérables, réunis dans un modèle de civilisation aux apports multiples dont les fils conducteurs ont été l’acquisition systématique du savoir et l’approfondissement de la recherche.  Mais comme l’ont constaté et proclamé les observateurs les plus compétents, l’Europe reste égale aux Etats-Unis en recherche fondamentale mais sa politique d’application est inefficace.  L’explosion des nouvelles technologies creuse l’écart et rend probable sa distanciation progressive.  Est-il surprenant, dès lors, d’assister à une préoccupante fuite des cerveaux ?

Notre pays, et ses dirigeants responsables, doivent se montrer conscients des conséquences d’une évolution clairement analysée et démontrée.

D’une part, comme le notait un rapport du Conseil Académique Belge des Sciences appliquées, « Si la qualité des chercheurs belges se compare favorablement à celle de leurs pairs européens, la rémunération qui leur est proposée et les conditions d’emploi actuelles ont pour effet d’accentuer leur départ vers l’étranger ».

En verder :

De totale financiële inspanning van de overheid ten gunste van Onderzoek en ontwikkeling is naar verhouding merkelijk lager dan in onze buurlanden en heeft de evolutie van het BBP niet eens gevolgd.  De verstrooiing van de inspanningen ten gunste van het wetenschappelijk onderzoek over verschillende overheden is nadelig voor doeltreffend speurwerk.  Een politiek van concentratie van onderzoeksinspanningen, samengaand met een stelselmatige toetsing van der verworven en potentiële resultaten, en beschikkend over ruimere, betrouwbare, oordeelkundig verdeelde en aan voortgaande programma’s bestede geldmiddelen, zou België in staat stellen zijn plaats in de Europese wetenschappelijke wereld niet kwijt te raken.  Die politiek en die plaats zijn noodzakelijk voor zijn toekomst.

Et je veux citer à nouveau ces phrases d’un ancien Lauréat du Prix Francqui et titulaire du Prix Nobel :

Un pays qui ne soutient pas une recherche fondamentale de qualité dans ses universités bientôt ne produira plus les chercheurs, les ingénieurs et autres experts de haut niveau qu’exige la société moderne.  Il est condamné à la stagnation si pas au sous-développement.

Het Francqui-Fonds kan met bewuste fierheid aantonen hoe het door zijn permanente en opbouwende actie haar onontbeerlijke bijdrage levert aan de door onze wetenschappers geleverde inspanningen, en alles in het werk stelt om een creatieve samenwerking tussen al onze universitaire instellingen te bevorderen, wat dan ook door deze laatste ten volle wordt gewaardeerd.

 

Het Francqui-Fonds is onafhankelijk van alle politieke of communautaire bekommeringen : haar doelstellingen staan in het teken van een noodzakelijke samenhorigheid en in dienst van de erkenning en het prestige van ons wetenschappelijk potentieel.  Het wenst geen bestaande organisaties te dupliceren, maar streeft – in de geest van zijn stichter, Emile Francqui, horizonten te openen, in nauwe samenwerking met de Belgian American Educational Foundation, o.m. door acht studiebeurzen per jaar te financieren.

Met droefheid hebben de leden van het Francqui-Fonds dit jaar het heengaan van twee van hun collega’s moeten betreuren : Baron Jan Delva en Professor Roger van Overstraeten hebben aan onze instelling waardevolle bijdragen geleverd en wij huldigen hun nagedachtenis.

Soucieuse de maintenir et développer les contacts avec le monde scientifique à l’étranger, la Fondation a mis en place avec succès un programme de Chaires Internationales qui a permis déjà d’accueillir en Belgique une vingtaine de chercheurs et professeurs éminents pour une durée de six mois.  Et bien entendu la coopération et les échanges entre universités belges se poursuit, ainsi que l’octroi de mandats de post-doctoraux dans les services des Lauréats du Prix, et l’organisation par ces derniers de Colloques internationaux de haut niveau, suivis de la publication de leurs travaux.

Le Prix Francqui a été considéré par son fondateur non comme le couronnement d’une carrière, mais comme un encouragement à un jeune savant et à l’équipe de ses collaborateurs, dont la motivation est prometteuse d’avenir.  Le Jury International, cette année comme les précédentes, s’est dit impressionné par la qualité des candidatures qui lui ont été soumises et confronté à la difficulté d’un choix dont l’impartialité de la part de professeurs étrangers constituant le Jury, est indéniable.

Cette année, le Prix Francqui a été attribué au Professeur Marc Parmentier, de l’Université Libre de Bruxelles.  Il est docteur en médecine, agrégé de l’enseignement supérieur, chargé de cours à l’U.L.B., et déjà titulaire de nombreux prix et distinctions.

En le choisissant comme lauréat, le Jury du Prix Francqui a souligné que « le Professeur Marc Parmentier a été associé à une série de contributions reconnues internationalement, notamment dans  les domaines de la communication cellulaire via les récepteurs membranaires et les mécanismes de signalisation impliqués dans ce processus et que l’étendue et la profondeur de ces études ont influencé un nombre de disciplines incluant l’endocrinologie, la neurobiologie et la virologie ».  Le Jury a rendu hommage aux observations fondamentales sur la structure et la fonction des récepteurs couplés aux protéines G, et l’importance particulière des contributions du Professeur Parmentier dans le domaine des co-récepteurs  du virus de l’immunodéficience humaine et de leur rôle primordial dans la pathogenèse du virus.

Je prie le Prince de vouloir bien remettre au Professeur Parmentier le diplôme du Prix Francqui 1999.

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 Discours du Professeur Marc Parmentier

Monseigneur,

C’est avec un profond sentiment de fierté que je reçois de Vos mains le diplôme du Prix Francqui.  Ce prix est sans conteste dans notre pays la distinction scientifique la plus convoitée.  Et la présence constante de la Maison Royale aux cérémonies de remise constitue un encouragement inestimable pour l’ensemble de la communauté scientifique belge.

Monseigneur, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

Je me dois tous d’abord de remercier ici mes mentors qui ont influencé ma carrière au cours des ces vingt dernières années.  Chronologiquement, je citerai tout d’abord le Professeur Jean-Lambert Pasteels, qui m’a accueilli dans son laboratoire depuis les premières années de mes études médicales, et m’a donné l’occasion de m’initier à la recherche, plus particulièrement aux techniques morphologiques.  Je citerai ensuite le Professeur Tadashi  Inagami, de l’Université Vanderbilt, qui m’a permis au cours d’un séjour post-doctoral de me plonger dans un laboratoire à la fois convivial et très compétitif, et d’acquérir une bonne partie de mon bagage de biologiste moléculaire.  Je remercierai le Professeur Jacques Dumont,  qui m’a ouvert les portes de l’IRIBHN à mon retour des Etats-Unis, et m’a offert la possibilité de développer mes activités dans une environnement particulièrement favorable, et enfin le Professeur Gilbert Vassart, qui a, au fil de ces douze dernières années été un modèle de clairvoyance et de générosité, et a constitué pour moi un guide irremplaçable.  J’ai aussi le grand plaisir de remercier ici les très nombreux collaborateurs, étudiants et chercheurs post-doctoraux, qui ont contribué souvent de manière essentielle au travail qui a justifié aux yeux du Jury l’attribution de ce prix.  Je n’en citerai que quelques-un.  Tout d’abord Frédérick Libert, qui a initié le travail de clonage de récepteurs orphelins, et a participé à nombre d’étapes cruciales de ce travail.  Catherine Mollereau, chercheur post-doctoral qui a charmé nos oreilles de son accent du midi, et a été la cheville ouvrière d’un travail essentiel, la première caractérisation du ligand naturel d’un récepteur orphelin.  Michel Samson ensuite, autre chercheur post-doctoral, a réalisé l’essentiel du travail relatif à la caractérisation de CCR5 et de son rôle dans l’infection par le virus du SIDA.  Catherine Ledent, enfin, qui  a généré et étudié les nombreux modèles animaux permettant de mieux comprendre le rôle de nos gènes d’intérêt dans l’environnement complexe d’un animal vivant.

Ce travail n’aurait pu voir le jour sans le support de nombre d’organismes nationaux et internationaux : le Fonds National de la Recherche Scientifique tout d’abord, dont j’ai eu le grand privilège d’être mandataire pendant plus de dix ans, avec la totale liberté que procure ce  statut ; ensuite l’Etat Fédéral, la Communauté Française, la région Wallonne, la Communauté Européenne, la Fondation Médicale Reine Elisabeht, Télévie, l’Association contre le Cancer, l’Agence Nationale Française contre le SIDA.  La collaboration très efficace d’autres laboratoires a également été cruciale, et ne je citerai ici que quelques-unes des collaborations majeures, telles celles établies avec les laboratoires de Jean-Claude Meunier à Toulouse, Robert Doms à Philadelphie, Jean Costentin à  Rouen, Bernard Rocques à Paris ou Walter Fratta à Cagliari.

Au cours des années, j’ai été amené bien souvent à changer l’orientation de mes activités de recherche, au hasard des changements de laboratoire, et de l’évolution des domaines.  Après une contribution très sommaire aux balbutiements de la recherche sur les neuropeptides au cours de mes études, j’ai commencé ma véritable carrière scientifique par l’étude de facteurs impliqués dans le contrôle de la tension sanguine (rénine et ANF), par des approches morphologiques, biochimiques et de biologie moléculaire, d’abord au sein du laboratoire d’Histologie de l’ULB, puis dans le Département de Biochimie de l’Université Vanderbilt (Nashville, TN, USA).  De retour en Belgique en 1986, avec une formation toute neuve de biologiste moléculaire, j’ai rejoint l’Institut de Recherche Interdisciplinaire de l’Université Libre de Bruxelles dirigé par les Professeurs Jacques Dumont et Gilbert Vassart, ou je me suis tout d’abord intéressé à la biologie moléculaire de protéines cérébrales liant le calcium.  J’ai rapidement été amené à poser les jalons du développement d’une unité de transgenèse qui s’est d’abord intéressée à la fonction thyroïdienne, un des thèmes principaux de l’Institut.  Au fil des ans, nous avons  développé avec Catherine Ledent les premiers modèles transgéniques murins de pathologie thyroïdienne, depuis l’hyperthyroïdie jusqu’aux cancers les plus agressifs.

Il y a un peu plus de dix ans, j’ai été amené à participer à un programme débutant qui consistait à tenter de cloner le récepteur de la thyrotropine, l’hormone qui contrôle la fonction de la glande thyroïde.  A une époque ou peu de récepteurs étaient connus, 5 ou 6 tout au plus, cet objectif apparaissait comme un enjeu important pour le laboratoire, qui avait auparavant cloné quelques autres gènes clés du métabolisme thyroïdien.  C’est à cette occasion que, sur l’impulsion de Gilbert Vassart, une méthode générale de clonage basée sur la réaction en chaîne à la polymerase a été développée par Frédérick Libert.  Cette méthode permet de cloner les membres inconnus de familles multigéniques et a été très largement utilisée par la suite par de très nombreux groupes dans le monde.  Cette approche nous a conduit au clonage de nouveaux récepteurs dont la fonction nous était au départ totalement inconnue, et qui ont dès lors été qualifiés d’ « orphelins ».  Nous nous sommes très vite rendu compte de l’intérêt de ces récepteurs orphelins, chacun devant jouer un rôle essentiel dans un domaine de la physiologie.  La majeure partie des activités que je vais brièvement évoquer ici dérive directement de l’étude de ces récepteurs orphelins.

Les récepteurs couplés aux protéines G constituent de loin la plus nombreuse des familles de récepteurs membranaires.  Plus de 120 de ces récepteurs sont actuellement connus, et ils règlent des fonctions aussi essentielles que la fonction cardiaque et la pression sanguine, l’équilibre hydrominéral, les fonctions endocriniennes, les défenses immunitaires, et de très nombreuses fonctions cérébrales.  La diversité des fonctions contrôlées par les récepteurs couplés aux protéines G explique aisément pourquoi ils constituent les cibles de la majorité des agents pharmacologiques actuellement utilisés en thérapeutique.

Parmi nos récepteurs orphelins, certains ont été caractérisés comme des récepteurs dont la pharmacologie classique avait prédit l’existence.  Le premier à être caractérisé fut le récepteur de la thyrotropine, le but initial du projet.  Ce clonage a permis de démontrer que les autoanticorps stimulant et bloquant la fonction de la thyroïde étaient bien dirigés contre ce récepteur.  La possibilité de produire in vitro le récepteur humain a mené tout récemment, c’est-à-dire près de dix ans plus tard, au développement d’un nouveau test diagnostique pour ces affections auto-immunes de la thyroïde.  Ont été caractérisés dans la foulée les premiers récepteurs de l’adénosine, principaux sites d’action de la caféine.  Nous avons étudié récemment la fonction d’un de ces récepteurs par l’invalidation de son gène chez la souris, démontrant l’absence d’effets stimulant de la caféine sur ces animaux.  Nous avons également caractérisé le récepteur humain des agents actifs du cannabis, pour lequel un autre modèle d’invalidation génique chez la souris a été établi.  Ce modèle a permis de démontrer le rôle de ce récepteur non seulement dans les effets du cannabis, mais aussi dans le développement de la dépendance à d’autres drogues, comme les dérivés de la morphine.  Dans le cadre de l’étude de la très grande famille des récepteurs olfactifs, nous avons montré que certains de ces récepteurs étaient exprimés aussi dans les cellules de la lignée germinale mâle, suggérant un rôle dans le contrôle de la motilité et/ou de la guidance des spermatozoïdes.

D’autres récepteurs orphelins ont été caractérisés comme de nouveaux sous-types dont l’existence n’était pas connue auparavant.  D’autres encore ont mené à des systèmes de communication totalement neufs.  En collaboration avec un groupe du CNRS de Toulouse, nous avons ainsi cloné un nouveau récepteur, baptisé ORL1.  Ce récepteur, apparenté aux récepteurs opiacés, ne répondait cependant pas aux agonistes classiques de cette catégorie de récepteurs.  En utilisant le récepteur recombinant comme un essai biologique, nous avons identifié son  ligand naturel à partir d’extraits de cerveau, et certaines de ses fonctions in vivo, notamment dans le contrôle de la douleur.  Ceci fut le premier exemple de l’identification d’une nouvelle fonction biologique à partir d’un récepteur orphelin, stratégie qui a depuis reçu le nom de pharmacologie inverse.  Bien que le nombre d’exemples résolus soit encore très ténu, cette approche est appelée à se développer considérablement suite aux programmes de séquençage du génome humain, qui ont abouti au cours des dernières années à l’accumulation d’une multitude de gènes dont la fonction n’est pas connue.

Le dernier exemple que je voudrais évoquer ici, et qui est aussi celui ou le hasard a eu sa part la plus importante est l’identification de CCR5.  CCR5 a d’abord été caractérisé comme un nouveau récepteur des chimiokines, famille de protéines qui attirent les globules blancs vers le siège d’une inflammation.  La combinaison de nos données pharmacologiques et d’autres données rapportées simultanément dans la littérature allait suggérer que CCR5 pouvait aussi  constituer une des portes d’entrée du virus du SIDA.  Cette hypothèse a rapidement été confirmée par différents groupes dans le monde, dont le nôtre.  Nous avons aussi démontré indirectement le rôle clé joué par CCR5 dans la transmission de la maladie, par la mise en évidence d’une mutation de son gène, fréquente dans les populations d’origine européenne, et capable de protéger les porteurs homozygotes de l’infection par le virus.

Si certains thèmes de recherche que je viens d’évoquer sont encore poursuivi aujourd’hui, nous travaillons par ailleurs à la caractérisation d’un nombre croissant de récepteurs orphelins.  Le nombre de récepteurs orphelins a en effet augmenté considérablement au cours des années.  Nous avons cloné plus de 40 gènes originaux dans notre laboratoire, et environ 120 récepteurs orphelins sont présents actuellement dans les banques de données publiques.  Ce nombre et très certainement appelé à augmenter encore suite à/aux progrès rapides des programmes de séquençage génomiques.  Nous nous focalisons sur des récepteurs du système nerveux central d’une part, des récepteurs du système immunitaire d’autre part.  Cette recherche devrait dans le futur permettre l’identification de nouveaux messagers impliqués dans les fonctions cérébrales et le trafic des populations de leucocytes.

Monseigneur, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

Comme j’ai tenté de l’illustrer, le hasard, ou plutôt les hasards, ont joué un rôle prépondérant dans  l’évolution de nos recherches.  Il serait même facile de nous faire le reproche de ne pas toujours avoir eu d’objectif bien précis, d’hypothèses longuement construites.  L’expérience a cependant montré que cette manière stochastique d’envisager l’évolution d’un programme de recherche s’est révélée moins inefficace qu’on ne pourrait le croire.  Nous avons souvent contribué bien plus à l’avancement d’un domaine que nombre d’équipes bien plus focalisées sur ce problème précis.  Et je pense que notre expérience est très exemplative de ce qu’est la recherche fondamentale : souvent imprévisible, parfois erratique, ne répondant pas toujours à la question que l’on croyait si simple, mais ouvrant régulièrement des brèches vers des horizons si vastes que l’on pourrait passer une vie à explorer chacun d’eux.

Ceci plaide fortement contre certaines volontés politiques récentes qui tendent à planifier la recherche dans des carcans rigides, qui visent à lui définir, dès le moment de sa conception, des perspectives précises d’application industrielle, des calendriers d’avancement prévoyant plusieurs années à l’avance quelles seront la nature et le moment, au mois près, d’acquis scientifiques majeurs.  Cette conception de la recherche reflète à mon sens la méconnaissance profonde dans le chef de certains politiques de la nature même du processus de découverte. 

Les avancées les plus importantes en science sont presque par nature imprévisibles, et la présentation logique qui en est parfois fait à posteriori, ne reflète souvent qu’un réaménagement de la réalité, destiné à attribuer à ses auteurs ce supplément de clairvoyance qu’ils n’avaient souvent pas.  Le mérite principal d’un chercheur est très souvent d’avoir su choisir habilement parmi les innombrables pistes de brousse qui se présentent à lui, celle qui ne comportait ni précipice, ni obstacle insurmontable.  Vouloir enfermer la recherche académique dans un cadre strict de perspective d’application est à mon sens le plus sûr moyen de la détruire à moyen terme.

La notion même d’intérêt industriel peut d’ailleurs se révéler extrêmement fallacieuse.  Je ne peux m’empêcher de rappeler que lorsque nous avons isolé les premiers récepteurs orphelins à la fin des années 80, les départements de recherche des plus importantes sociétés pharmaceutiques que nous avons contactés, n’ont montré aucun intérêt pour ces dizaines de récepteurs que la pharmacologie classique ne connaissait pas.  En dix ans, les bases scientifiques ont finalement beaucoup moins changé que les mentalités.  Et il n’est plus une société moyenne qui n’envisage actuellement d’investir dans l’identification de nouvelles cibles pharmacologiques parmi les récepteurs orphelins.

Je ne voudrais cependant pas donner ici l’impression de renier complètement les applications qui peuvent être faites de la recherche.  Je dirais même que la valorisation industrielle a depuis de nombreuses années, été une des préoccupations constantes de l’IRIBHN et de son directeur, Jacques Dumont, bien avant que ceci ne devienne une priorité politique.   Preuve en est la création d’une société de Biotechnologie, issue des activités de recherche de l’Institut dans le domaine des récepteurs, et qui sert maintenant d’interface entre le laboratoire académique et les sociétés pharmaceutiques.  Nous avons cependant clairement opté pour garder une orientation fondamentale aux recherches de l’Institut, et à développer au dehors les aspects appliqués que nous ne voulions pas implanter au-dedans.  La symbiose qui s’est depuis développée entre les deux structures, parfois antagonistes dans leurs ambitions mais souvent complémentaires dans leurs approches, s’est révélée on ne peut plus favorable.  A mon sens, ce qui manque le plus dans notre pays, et ce qui le différencie d’autres régions du monde, ce n’est pas tant une orientation plus appliquée de la recherche académique, qu’un environnement socio-économique plus favorable à l’émergence d’entreprises dynamiques aptes à développer localement la très bonne recherche fondamentale de nos Universités.

Monseigneur,

La Belgique est un petit pays, et les entités qui la composent sont plus petites encore.  Et l’on entend parfois dire que la recherche est un luxe qu’un petit pays ne peut pas se permettre.  Dans le domaine biomédical en tout cas, il est pourtant très clair que les développements économiques voient le jour aux endroits ou la recherche fondamentale est la plus dynamique.  Comme la beauté, la petitesse est dans les yeux de celui qui regarde.  Parfois aussi dans les yeux de celui qui se regarde.  Et c’est l’absence de recherche qui est un luxe qu’un pays, petit ou grand, ne peut pas se permettre très longtemps.  Votre présence ici est pour nous tous, scientifiques, un gage de l’intérêt que Vous portez à la recherche fondamentale de ce pays, et pour cet intérêt, pour ce qu’il signifie pour l’avenir, nous Vous remercions du fond du cœur. 

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