1997 – Rapport Jury Jean-Luc Bredas
Remise solennelle du Prix Francqui
par Sa Majesté Le Roi Albert II
à la Fondation Universitaire le 19 Juin 1997
Carrière scientifique – Activités de recherche – Rapport du Jury – Discours
Carrière scientifique
Jean-Luc Brédas est né à Fraire (Walcourt) le 23 Mai 1954. En 1976, il obtient le diplôme de licencié en sciences chimiques aux Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix à Namur. Il entame ensuite un doctorat en chimie théorique au sein de la même institution sous la direction du Professeur Jean-Marie André. En 1977, il entre comme Aspirant au Fonds National de la Recherche Scientifique (FNRS) et effectue le premier de ses séjours de recherche à l’étranger, au Centre de recherche Donegani de la société Montedison à Novara, Italie. Il devient docteur en sciences des FUNDP en 1979.
En Février 1980, il se rend aux Etats-Unis, grâce à une bourse post-doctorale de la US National Science Foundation, pour travailler avec le Professeur Robert Silbey au Massachusetts Institute of Technology et le Dr. R.R. Chance au Centre de Recherche de Allied Chemical à Morristown, New Jersey. Il y passe un total de 13 mois et acquiert un goût prononcé pour les aspects appliqués de ses recherches théoriques.
De retour chez Jean-Marie André à Namur entre 1981 et 1988, il devient Chargé de Recherches FNRS en 1981 et commence de multiples collaborations avec des groupes d’expérimentateurs belges et étrangers, à la fois dans les milieux académiques et industriels. Presque chaque année, il est invité à réaliser des séjours de recherche prolongés, en tant que scientifique ou professeur visiteur, en Europe, aux Etats-Unis ou au Japon – en 1982 et 1994, au Massachusetts Institute of Technology; en 1983, 1984-85 (pendant sept mois), 1987 et 1991, au Centre de Recherche IBM à San Jose, Californie; en 1985 et 1992, au département de physique de l’Université de Linköping, Suède; en 1986, au Centre de Recherche de Exxon Corporation à Annandale, New Jersey; en 1987n à l’Institute for Research on Polymers and Textiles à Tsukuba, Japon; en 1988, à l’Institut RIKEN à Wako, Japon; en 1988, 1990, 1993, 1995 et 1996, à l’Institute for Polymers and Organic Solids de l’Université de Californie à Santa Barbara; en 1994 – ainsi que l’été 1997, au California Insitute of Technology à Pasadena. En 1983, il obtient un poste permanent au FNRS en tant que Chercheur Qualifié. En 1986, il reçoit de l’Université Catholique de Louvain le diplôme d’Agrégé de l’Enseignement Supérieur; il est promu Maître de Recherches FNRS en 1987.
En Juillet 1988, il est nommé Chargé de Cours à l’Université de Mons-Hainaut où il dirige un nouveau Service de Chimie des Matériaux Nouveaux; il devient Professeur ordinaire en 1990. En 1992, avec le Professeur André Persoons de la KULeuven, il établit le Centre de Recherche Interuniversitaire UMH-KUL en Electronique et Photonique Moléculaires. Depuis 1994, il est Professeur Invité à l’Université Catholique de Louvain et, depuis 1995, Professeur Visiteur aux FUNDP à Namur.
Une caractéristique majeure de la carrière de Jean-Luc Brédas est, en parallèle avec sa formation théorique, son souci constant d’interaction avec les expérimentateurs. Ceci se marque notamment par le développement d’une section expérimentale dans son laboratoire à Mons, consacrée à l’étude des matériaux polymères par les techniques de microscopie à champ proche. L’importance technologique de ses travaux théoriques est soulignée par sa participation à plusieurs projets ESPRIT et BRITE-EURAM de la Commission Européenne avec des industries telles que Philips, Hoechst ou Thomson-CSF. Il a été consultant pour Exxon et Uniax aux USA et l’est actuellement pour le Centre de Recherche de Hoechst en Allemagne.
Jean-Luc Brédas a été invité trois fois à occuper une Chaire Francqui au titre Belge aux Universités de Liège (1994), Namur (1996) et Antwerpen (1996); son laboratoire est reconnu comme Centre d’Excellence par le Gouvernement Fédéral grâce à l’octroi d’un Pôle d’Attraction Interuniversitaire (pour les périodes 1990-1996 et 1997-2001) ainsi que comme Pôle d’Excellence – Materia Nova par le Gouvernement Wallon. Il a reçu un certain nombre de distinctions (Prix Jean Stas de l’Académie Royale de Belgique, 1980; Prix Scientifique Louis Empain, 1984; Prix Louis d’Or de la Société Royale des Sciences de Liège, 1985; Prix du Cercle des Alumni de la Fondation Universitaire, 1986; Prix de la Fondation Désiré Jaumain Sciences, Art et Culture en Wallonie, 1988; Prix Triennal de la Société Royale de Chimie, 1991; Prix Alphonse Wetrems de l’Académie Royale de Belgique, 1995; Prix Francqui, 1997). Depuis 1991, il est membre étranger du Frontier Research Program établi par le Gouvernement Japonais à l’Institut RIKEN à Wako. Il fut élu en 1993 Fellow de l’American Physical Society. Il est actuellement Vice Président de la Société Royale de Chimie et en deviendra Président pour un mandat de deux ans en Octobre 1998.
Jean-Luc Brédas dirige un groupe de plus de 25 scientifiques (mémorants, doctorants, post-doctorants et chercheurs visiteurs) dans son service et Centre de Recherche en Electronique et Photonique Moléculaires à l’Université de Mons-Hainaut. Au fil des ans, ces post-doctorants et chercheurs visiteurs sont venus de tous les horizons (Allemagne, Brésil, Chine, Danemark, Espagne, Etats-Unis, France, Inde, Italie, Japon, Maroc, Pays-Bas, Russie, Suède, Suisse). De retour dans leurs pays, plusieurs de ces post-doctorants ont pu se lancer dans une carrière académique.
Il est auteur ou co-auteur de plus de 450 publications scientifiques dans des journaux de renom tels que : Science, Nature, Journal of the American Chemical Society, Physical Review Letters, Physical Review, Journal of Chemical Physics, Macromolecules, Chemical Reviews, Chemical Physics Letters, Synthetic Metals. Plusieurs de ses articles ont figuré parmi les 50 articles les plus cités du domaine de la chimie dans les trois ans de leur publication. Il est co-auteur de deux livres et co-éditeur de cinq livres et de deux numéros spéciaux de Nonlinear Optics et de Synthetic Metals. Il a présenté plus de 230 conférences lors de congrès ou séminaires.
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Activités de recherche
Les activités de recherche de Jean-Luc Brédas et de son groupe portent sur la modélisation, la caractérisation et le développement de nouveaux matériaux organiques présentant des propriétés électriques et optiques prometteuses, exploitables en électronique, en photonique et en technologie de l’information.
La plupart des études ont trait aux matériaux polymères et oligomères, c’est-à-dire aux plastiques, possédant ce que l’on appelle un squelette conjugué, menant à la présence d’électrons facilement délocalisables et polarisables. Les polymères conjugués diffèrent fortement des plastiques conventionnels tels que le polyéthylene, le polypropylène, ou le nylon, qui sont principalement exploités en raison de leurs remarquables propriété mécaniques. Dans les polymères conjugués, il est possible d’associer ces propriétés mécaniques à des propriétés électriques et optiques qui précédemment étaient exclusivement l’apanage des métaux et des semi-conducteurs inorganiques. Les recherches au niveau mondial visent à présent à développer des plastiques qui idéalement soient simultanément presque aussi bons conducteurs que le cuivre et aussi rigides que l’acier ou qui émettent une lumières aussi intense que celle des diodes et lasers inorganiques.
Les efforts de recherche du laboratoire de Jean-Luc Brédas se basent principalement sur des études d’ordre théorique, s’appuyant sur de puissantes méthodes de calcul dérivées de la chimie quantique ou de la physique de l’état solide; par cette approche, il est possible de modéliser de manière fiable les matériaux organiques et d’en prédire les propriétés électriques et optiques. Les travaux impliquent également des méthodes expérimentales, principalement axées autour des nouvelles microscopies à champ proche (Scanning Tunneling Microscopy, STM, et Atomic Force Microscopy, AFM). Les travaux sont poursuivis en collaboration étroite avec de nombreux groupes d’expérimentateurs, en Belgique, en Europe, aux USA et au Japon.
Le but majeur des recherches menées à Mons sur ces matériaux polymères électriquement et optiquement actifs est, d’une part, de fournir une meilleure compréhension et, d’autre part, d’aider à l’exaltation des :
– conductivités électriques de type métallique – celles-ci peuvent être induites par des réactions chimiques ou électro-chimiques et ont conduit à la réalisation de plastiques et fibres conducteurs intrinsèques;
– propriétés semi-conductrives – celles-ci sont exploitables pour la fabrication de dispositifs flexibles (transistors à effet de champ, diodes électro-luminescentes, lasers état solide) et ouvrent la voie in fine à la réalisation d’écrans souples ultraminces;
– réponses optiques non linéaires élevées dans des composés présentant des groupements donneurs et accepteurs d’électron – de tels matériaux pourraient être incorporés dans les générations futures de systèmes de communications et d’ordinateurs;
– interactions de surface spécifiques pouvant se produire avec d’autres matériaux comme les métaux – de telles interactions peuvent par exemple empêcher le développement de phénomènes de corrosion.
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Rapport du Jury (5 Avril 1997)
Considérant que M. Jean-Luc Brédas est un leader du domaine interdisciplinaire que constituent les polymères semi-conducteurs et métalliques;
considérant qu’il apparaît comme une figure scientifique internationale majeure, présentant une liste prolifique et remarquable de publications influentes;
considérant que ses études théoriques de la structure électronique de cette classe nouvelle de polymères électroniques ont permis de guider les efforts des expérimentateurs et ont eu un impact réellement primordial sur le développement de matériaux à haute performance;
considérant qu’il a démontré avec succès sa capacité à former des étudiants qui se révèlent à présent comme de jeunes scientifiques de niveau mondial et que grâce à ses réalisations scientifiques et à son leadership, le Professeur Brédas a exercé une influence majeure sur les sciences en Belgique et sur le rôle de la Belgique au sein de la communauté scientifique internationale;
décide d’attribuer le Prix Francqui 1997 à Monsieur Jean-Luc Brédas, Professeur ordinaire à l’Université de Mons-Hainaut.
Jury international dans lequel siégeaient :
Le Professeur Lennart CARLESON
Professor at the Royal Institute of Technology
Department of Mathematics
Stockholm – Suède
Président
et
Le Professeur Marie-Christine ARTRU
Professor at the Ecole Normale Supérieure de Lyon
France
Le Professeur Margaret BEATTIE
Professor at the Mount Allison University
Department Mathematics
Sackville – Canada
Le Professeur Hans-Joachim BUNGE
Professor at the Institut für Metallkunde und Metallphysik der TU
Claustahl-Zellerfeld – Allemagne
Le Professeur Israel GOHBERG
Professor at the University of Tel Aviv School of Mathematical Sciences
Ramat Aviv – Israel
Le Professeur J. HEEGER
Professor at the University of California
Institute for Polymers and Organic Solids
Santa Barbara, CA – USA
Le Professeur Brian E. LAUNDER
Professor at the University of Manchester
Institute of Science & Technology (UMIST)
Department of Mechanical Engineering
Manchester – UK
Le Professeur John TYSON
Professor at the Virginia Polytechnic Institute and State University
Department of Biology
Blacksburg, Virginia – USA
Le Professeur Edward P.J. van den HEUVEL
Professor at the University of Amsterdam
Sterrenkundig Instituut Anton Pannekoek
Pays-Bas
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Discours du Baron Jacques Groothaert,
Président de la Fondation Francqui
Sire,
Alors que dans une société en difficile transition, l’on perçoit bien des signes de morosité ou d’inquiétude, il est certes réconfortant de prendre acte des remarquables prestations et des résultats encourageants de la recherche scientifique dans notre pays.
On ne peut en trouver meilleur témoignage que dans l’appréciation faite, chaque année, par le prestigieux Jury international du Prix Francqui, du haut niveau de connaissance et de l’excellence des candidatures émanant de l’ensemble de nos institutions universitaires, soulignant ainsi la qualité de l’enseignement et la difficulté à opérer le chois des Lauréats, en raison du vaste éventail de mérites et de qualifications soumis au jugement du Jury.
Une telle constatation, qui ne peut que nous réjouir, prend tout son sens dans un cadre mondial et compétitif, où plus que jamais la maîtrise de la connaissance se révèle comme un facteur essentiel.
C’est bien souvent dans des conditions précaires et avec des moyens généralement inférieurs à ceux de la plupart des autres pays de l’Union Européenne, que nos savants et nos chercheurs atteignent et maintiennent ce niveau remarquable.
Sans y trouver motif de découragement ou de démotivation, nombreux sont les jeunes universitaires qui gardent la foi et la volonté de rester à l’avant-plan d’un développement scientifique nécessaire et prometteur.
Notre Fondation, par ailleurs, se trouve également confrontée à un problème d’embarras du choix pour sélectionner les huit « Francqui Fellows » dont elle finance le séjour aux Etats-Unis, parmi le candidats retenus par la Belgian American Educational Foundation ».
Wat betreft de Belgische Francqui-Leerstoelen mogen wij ons eveneens verheugen over hun uitstekende werking en positieve inzet.
De lezingen worden door een talrijk wetenschappelijk gevorm publiek bijgewoond, en ik zou graag hier aanhalen wat door houders van de Leerstoelen, die hierbij een algemeen aanvaarde beoordeling verwoorden, als positief genoteerd wordt :
« De faam van de Francqui-Prijs heeft als gevolg dat het bekroonde werkgebied bijzonder in het licht gezet wordt. Er wordt een boodschap gebracht dat wetenschappelijk werk in België wel degelijk maatschappelijk wordt geapprecieerd. Aan professoren en decanen van diverse faculteiten wordt de gelegenheid gegeven de betekenis van onderzoek en onderricht in het bekroonde werkgebied te overschouwen, terwijl niet-specialiste via een selectieve reeks van lezingen een diepgaand inzicht op korte tijd kunnen verwerven. Uitwisseling van informatie en consultatie draagt bij tot een betere vorming. »
En ook dit : het feit dat franstaligen in Vlaanderen worden uitgenodigd binnen het kader van de Francqui-Leerstoel, en omgekeerd, betekent een niet te verwaarlozen bijdrage tot het overbruggen van tweespalt of misverstand. De waarde hiervan kan niet genoeg onderstreept worden.
Het recente initiatief van het Francqui-Fonds om buitendse vorsers van het hoogste niveau uit te nodigen voor een verblijf van zes maand bij één of meer Belgische universiteiten, heeft reeds geleid tot belangrijke wetenschappelijke uitwisselingen, niet alleen tussen buitenlandse universiteiten en onze vorsers, maar ook onderling tussen wetenschappelijke diensten in eigen land.
De aanwezigheid in dit auditorium van enkele van deze uitgenodigden vereert ons ten zeerste.
Je voudrais rappeler encore le grand succès de l’initiative de la Fondation créant l’obligation – acceptée avec enthousiasme par le Lauréat du Prix – d’organiser un colloque international dont les comptes-rendus sont publiés par une éditeur belge et envoyés à un millier de bibliothèques universitaires de par le monde, sous la forme de monographies de la Bibliothèque Scientifique Francqui.
J’ai mentionné l’appréciation élogieuse des membres du Jury international du Prix. Elle s’est exprimée de la manière la plus convaincante dans les considérations accompagnant la proposition d’octroi du Prix Francqui 1997 pour les sciences exactes, au Professeur Jean-Luc Brédas, de l’Université de Mons-Hainaut.
Ce dernier est présenté comme une figure de proue dans le domaine interdisciplinaire des polymères semi-conducteurs et métalliques. Rendant hommage à l’ampleur et à la qualité de ses publications, le Jury a estimé que les recherches du Professeur Brédas ont eu un impact considérable dans le développement des matériaux de haute performance.
Il a aussi souligné combien méritoire est sont travail de formation d’étudiants qui accèdent au rang de jeunes scientifiques de classe mondiale.
« Through his scientific accomplishmetns and his leadership, Professor Brédas has had major impact on science in Belgium and on the role of Belgium in the international scientific community ».
Sire,
La Fondation Francqui est profondément reconnaissante au Roi de sa présence à cette cérémonie, qui apporte une nouvelle fois le témoignage de son attachement à l’action développée avec succès et constance dans le soutien à la recherche scientifique, gage essentiel de notre avenir.
C’est mon privilège de prier le Roi de bien vouloir remettre au Professeur Brédas le diplôme de Lauréat du Prix Francqui 1997.
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Discours du Professeur Jean-Luc Brédas
Recevoir de Vos mains ce prix prestigieux restera à jamais gravé dans ma mémoire et celle de ma famille. Les circonstances sont d’autant plus émouvantes que Vous me remettez ce prix à la rue d’Egmont, elle qui abrite deux institutions scientifiques auxquelles moi-même mais aussi toute la communauté scientifique belge devons tant : la Fondation Francqui et le Fonds National de la Recherche Scientifique, institutions à la naissance desquelles le Roi Albert Ier contribua de manière prépondérante. Votre présence aujourd’hui témoigne de l’intérêt que la Maison Royale ne cesse de porter à la recherche scientifique dans notre pays.
Sire, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
En ce jour de grande joie, nombreux sont les sentiments qui je souhaite exprimer. Le plus fort est un sentiment de reconnaissance profonde : reconnaissance envers ma famille, mon épouse Monique et mes filles, Amélie et Véronique, qui ont privilégié l’épanouissement de ma vocation de chercheur; reconnaissance envers la Fondation Francqui qui, après m’avoir confié ces dernières années trois Chaires aux universités de Liège, de Namur et d’Anvers, me distingue à nouveau aujourd’hui; reconnaissance envers le Fonds National de la Recherche Scientifique qui a permis que je réalise ma carrière scientifique en Belgique et a continuellement soutenu le développement de mes recherches et de mon laboratoire.
Je pense bien sûr à celui qui sera toujours mon cher patron, le Professeur Jean-Marie André, Lauréat du Prix Francqui 1991. La richesse de la formation qu’il m’a donnée, tant scientifique qu’humaine, est incommensurable. L’enseignement des Professeurs Amand Lucas et Eric Derouane, Lauréats des Prix Francqui 1985 et 1994, a également contribué à me donner le goût de la recherche. Je dois beaucoup au Professeur Robert Silbey et au Dr. Ronald Chance, qui ont dirigé mes recherches postdoctorales : ils ont influencé durablement la manière dont je mène mes travaux. La confiance du Professeur André Persoons a été précieuse : elle a conduit à la création de notre Centre de Recherche en Electronique et Photonique Moléculaires; celui-ci unit l’Université de Mons-Hainaut et la KULeuven en une association fructueuse qui démontre l’importance des collaborations conduites au niveau belge.
Je souhaite aussi remercier mes Recteurs à l’Université de Mons-Hainaut, les Professeurs Yves Van Haverbeke et Albert Landercy, ainsi que mon Administrateur, le Professeur José Quenon; l’intérêt et le soutien qu’ils ont portés à mon laboratoire ont été constants.
Mes collaborateurs et mes chercheurs doctorants, postdoctorants et visiteurs, par leur enthousiasme et la qualité de leur travail, ont joué un rôle essentiel dans ce qui arrive aujourd’hui. Ils savent combien je leur en suis reconnaissant.
Sire,
Les travaux que récompense en ce jour la Fondation Francqui portent sur la modélisation théorique et le développement de matériaux nouveaux.
Depuis l’aube de l’humanité, notre histoire est façonnée de manière directe par les matériaux qui nous entourent et dont nous pouvons tirer profit. C’est au point que les premiers âges de l’humanité se confondent avec la nature des matériaux principalement exploitables : âge de la pierre, âge du bronze, par exemple. Ce que l’on peut appeler la science des matériaux ne constitue cependant qu’une discipline récente. En effet, la compréhension de la nature des matériaux et des conséquences qu’ont certaines manipulations sur leurs propriétés, n’a commencé à s’établir que dans le courant du XIXe siècle, grâce au développement de la chimie et de la physique. Au cours des trois dernières décennies, l’approfondissement extraordinaire de nos connaissances sur la structure intime de la matière a conduit à ce que je n’hésiterai pas à qualifier de véritable révolution dans les relations entre l’homme et les matériaux.
Cette compréhension nouvelle des propriétés de la matière, tire son origine principalement de trois éléments. En premier lieu, les techniques d’investigation expérimentales se font de plus en plus précises et permettent d’étudier de manière fiable non seulement les aspects macroscopiques mais aussi la structure microscopique des matériaux.
A titre d’exemple, citons le développement au cours des années 1980 de ce que l’on appelle la microscopie à balayage à effet tunnel et la microscopie à force atomique. Ces outils permettent de visualiser de manière non destructive les molécules et les atomes présents sur une surface. En outre, et c’est là un point remarquable, ils offrent la possibilité de manipuler ces atomes et molécules individuellement. C’est ainsi que des chercheurs des laboratoires d’IBM ont, les premiers, reconstitué la célèbre logo de leur firme à l’échelle atomique, c’est-à-dire au dixième de milliardième de mètre, grâce à la manipulation individuelle d’atomes de xénon sur une surface métallique. D’autre part, le chimiste a tellement développé son art de la synthèse qu’il lui devient possible de fabriquer pratiquement toute molécule répondant au règles de stabilité. Finalement, l’avènement des calculateurs de puissance a ouvert l’application aux matériaux, sur une large échelle et sur base de modèles de plus en plus réalistes, des théories fondées sur la mécanique quantique née au début de ce siècle.
Ce développement sans précédent de nos connaissances sur la structure intime de la matière et des capacités de synthèse, permet à présent d’établir dans de nombreux domaines les relations existant entre, d’une part, la nature et la structure microscopique d’un matériau et, d’autre part, ses propriétés macroscopiques. Les conséquences en sont phénoménales et définissent la révolution évoquée précédemment. A l’approche traditionnelle marquée par la question de savoir quelles sont les fonctions que peut remplir un matériau, se substitue une approche nouvelle par laquelle il est possible de travailler dans les conditions exactement inverses, c’est-à-dire de déterminer d’abord les besoins et d’ensuite concevoir les caractéristiques du matériau permettant de remplir au mieux ces besoins.
Un exemple parmi d’autres touche à la conception, à l’ingénierie moléculaire de matériaux nouveaux dont on souhaite qu’ils présentent, sous l’effet d’un rayonnement lumineux intense, une réponse optique telle que les particules de lumière, les photons, sont absorbés, non pas individuellement comme c’est normalement le cas, mais deux par deux. En d’autres termes, si le matériau est illuminé par une lumière rouge intense, on souhaite que l’absorption s’effectue dans le bleu. Une des applications potentielles de ce phénomène d’absorption à deux photons est de permettre une localisation aisée de tumeurs présentes au sein d’organes vitaux. Les fondements de ces phénomènes optiques sont à présent bien connus et les exigences auxquelles le matériau optiquement actif doit répondre, sont dès lors bien spécifiées. De nombreux laboratoires médicaux et universitaires, dont le nôtre s’efforcent actuellement de définir les matériaux aux caractéristiques optimales.
Ce retournement dans l’ordre des relations entre l’homme et les matériaux n’est pas sans poser de multiples défis tant économiques que scientifiques. Les matériaux nouveaux ont d’ores et déjà un impact certain et façonnent le développement de secteurs clés de l’économie tels les télécommunications, l’aéronautique, l’automobile ou le domaine des ressources énergétiques.
Sur le plan scientifique, la conception de matériaux nouveaux impose de relever au moins trois défis. Le premier est celui de la formation des chercheurs. Concevoir un matériau nouveau implique, en effet, d’être à même de percevoir les problèmes se posant à des niveaux très divers : par exemple celui de la synthèse, celui de la caractérisation des propriétés chimiques et physiques, ou encore, celui de la mise en oeuvre du matériau. Si, au Moyen-Age, alchimistes et forgerons n’éprouvaient pas le besoin de communiquer, il est impérieux que, dans le besoin de communiquer, il est impérieux que, dans le contexte actuel des matériaux, ingénieurs et scientifiques des différentes disciplines trouvent un langage commun. Or, il est frappant de constater combien la formation traditionnelle assurée à des scientifiques, même en principe proches, comme le physicien et le chimiste, mène souvent à des barrières de langage et de conception difficilement surmontables. En conséquence, il est impérieux d’assurer à nos futurs chercheurs une formation réellement interdisciplinaire. C’est ici que la communauté universitaire belge bénéficie du rôle remarquable joué par la Fondation Francqui : chaque année, les Chaires Francqui attribuées aux universités ont pour but premier de favoriser et stimuler les échanges pluridisciplinaires.
Relever le défi de la formation interdisciplinaire du chercheur facilite la réponse à un deuxième défi : celui de l’imagination créatrice requise par la science des matériaux modernes. Nous nous en rendons facilement compte et le poète Han Yu l’exprimait déjà voici douze cents ans : « Qui s’assied au fond d’un puits pour regarder le ciel le trouve petit ». Or, il faut disposer d’une vision large si nous souhaitons répondre aux besoins exprimés dans les secteurs clés cités plus haut :
– notre société est devenue société de l’information : les matériaux nouveaux (dans ce cas, de nouveaux types de fibres optiques céramiques et surtout plastiques) doivent ouvrir la voie à des réseaux de communications ultra rapides à l’échelle mondiale; le développement foudroyant du réseau « Internet » constitue un exemple frappant de ces exigences nouvelles;
– en aéronautique, la demande apparaît en termes de matériaux légers mais rigides et résistant à de hautes températures;
– dans le secteur de l’automobile, on prévoit un essor de l’utilisation des matériaux céramiques pour le moteur et des matières plastiques, non seulement pour la carrosserie et l’intérieur mais aussi pour le contrôle du fonctionnement des différents organes de la voiture;
– dans le secteur de la médecine, des matériaux biocompatibles sont appelés à remplacer différents organes et tissus humains;
– dans le secteur de l’énergie, des besoins énormes se font sentir en termes de production, stockage et conversion de ressources énergétique nouvelles et sûres.
L’imagination créatrice doit être au rendez-vous car il faut constater qu’il ne s’agit pas simplement de remplacer des matériaux traditionnels (comme par exemples les métaux) par des matériaux aux performances accrues (comme les plastiques ou les céramiques avancées). Bien plus, il faut viser au développement de matériaux remplissant des fonctions entièrement nouvelles et souvent multiples.
Ceci nous mène au troisième défi auquel doivent répondre les matériaux nouveaux : celui que je qualifierai d’intelligence des matériaux. Les matériaux du futur seront des matériaux intelligents dans la mesure où ils correspondront à des structures composites hautement fonctionnalisées. Cela signifie que le matériau devra être à même d’intégrer plusieurs fonctions dont celle de communiquer avec son environnement et de réagir par rapport à l’information reçue, par exemple d’être capable de prendre des mesures correctives ou de s’auto-réparer.
C’est dans ce contexte général que se présentent les travaux de recherche de mon laboratoire. Ils visent à la modélisation, à la caractérisation et au développement de matériaux moléculaires nouveaux, basés sur des composés organiques hautement fonctionnalisés, conducteurs ou semi-conducteurs de l’électricité et offrant une réponse optique modulable à façon.
Sire, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
Alors que, face à un ralentissement de l’activité économique de son pays, le gouvernement japonais vient de décider un accroissement de plus de huit pour cent du budget de la recherche fondamentale, il est inquiétant de constater que, dans notre pays, l’enseignement et la recherche ne sont souvent plus envisagés que sous l’angle de restrictions budgétaires. Pareille attitude peut contribuer à soulager à court terme les finances publiques mais hypothèque gravement notre avenir et celui des générations futures. Il faut répéter avec force que la logique financière est ici totalement opposée à la logique sociale et à la logique économique. Le Professeur Christian de Duve, Lauréat du Prix Nobel en 1974, a souligné que : « si on ne soutient pas une recherche de qualités dans nos universités, le niveau de formation des cadres va baisser; pire, il est tout à fait certain que le niveau de développement du pays et des régions va nécessairement baisser. »
Pourtant, l’enseignement et la recherche, tant fondamentale qu’appliquée, constituent deux des plus grandes richesses de notre patrimoine. Ce sont sur ces richesses que nous devons nous appuyer le plus fortement pour générer un nouvel essor : notre survie technologique et notre compétitivité industrielle seront en effet déterminées au premier chef par la manière dont les ressources scientifiques et intellectuelles de notre pays seront mobilisées, valorisée et mises en application. A cet égard, insistons sur l’importance de privilégier des programmes qui, tels que par exemple les « Pôles d’Attraction Interuniversitaires », permettent de favoriser dans notre pays une recherche de niveau international, une recherche ouverte sur la société et ses besoins, une recherche garante de la qualité de l’enseignement et de la formation que nous assurons à nos étudiants.
Sire,
Me permettez-Vous pour conclure d’exprimer un sentiment auquel est intimement liée la démarche du chercheur : celui d’humilité. Comme l’écrivait voici dix-huit mois l’éditorialiste Jacques Gevers : « Loin de réduire le champ de l’ignorance, le progrès du savoir l’étend à l’infini. Plus on découvre, plus on voit qu’il reste à découvrir. En faisant progresser la connaissance, chaque découverte engendre de nouvelles questions, de nouveaux défis dont l’étendue nous incite à l’humilité. En même temps, germent des doutes sans cesse renouvelés sur des savoirs que l’on croyait naguère définitivement établis, pour toujours irréfutables. »
La recherche est donc bien une partition qui, dans une très large mesure, doit encore être composée !
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