1982 – Rapport Jury François Englert


R
emise solennelle du Prix Francqui
par Sa Majesté Le Roi Baudouin
à la Fondation Universitaire le 12 mai 1982

Curriculum Vitae – Rapport du Jury – Discours

François Englert

Curriculum Vitae

Né à Etterbeek, le 6 novembre 1932

Diplôme universitaires :

Ingénieur Civil Electricien-Mécanicien, Université Libre de Bruxelles, 1955
Licencié en Sciences Physiques, Université Libre de Bruxelles, 1958
Docteur en Sciences Physiques, Université Libre de Bruxelles, 1959

Fonctions :

Professeur ordinaire à l’Université Libre de Bruxelles depuis 1967

Curriculum vitae :

Assistant à l’Université Libre de Bruxelles, 1956-1959
Research associate à la Cornell University, Ithaca (USA), 1959-1960
Assistant Professor à la Cornell University §USA), 1960-1961
Chargé de cours à l’Université Libre de Bruxelles, 1961-1964
Professeur extraordinaire à l’Université Libre de Bruxelles, 1964-1967
Directeur du Service de Physique Générale I à l’Université Libre de Bruxelles, depuis 1975
Directeur du Service de Physique Théorique (Interactions Fondamentales) depuis 1980
Lauréat du Prix de Sciences Mathématiques et Physiques A. Wetrems de l’Académie Royale de Belgique, 1977
Premier prix du concours international décerné aux Etats-Unis par la Gravity Research Foundation, 1978

* * *

Rapport du Jury (17 avril 1982)

Considérant sa contribution à la compréhension théorique du phénomène de brisure de symétrie en physique fondamentale, où avec R. BROUT il a été le premier à montrer que les brisures spontanées de symétrie produisaient en théorie de jauge, des masses pour les particules de jauge,

considérant aussi l’extension de ses contributions dans d’autres domaines comme la physique de l’état solide, la mécanique statistique, la théorie quantique des champs, la relativité générale et la cosmologie,

considérant enfin l’originalité et l’importance fondamentale de ses travaux, décide d’attribuer le Prix Francqui 1982 à M. François ENGLERT, Professeur à l’Université Libre de Bruxelles.

Jury international dans lequel siégeaient :

Le Professeur Richard Barrow
Professor at the University of Oxford
Physical Chemistry Laboratory
UK
                                                           Président

et

Le Professeur Sir Derek BARTON
Directeur au Centre National de la Recherche Scientifique
Institut de Chimie des Substances naturelles
Prix Nobel de Chimie 1969
Gif-sur-Yvette – France

Le Professeur Philippe CIARLET
Professeur à l’Ecole Normale Supérieure et à l’Université Pierre et Marie Curie
Directeur du Laboratoire d’Analyse Numérique
Paris – France

Le Professeur Pierre GOBIN
Directeur à l’Institut National des Sciences Appliquées de Lyon
Villeurbanne – France

Le Professeur Oscar Willem MEMELINK
Professor aan de Technische Hoegeschool Twente
Afdeling der Elektrotechniek
Enschede – Pays-Bas

Le Professeur Jacques Victor METZGER
Professeur à l’Université de Marseille III
Institut de Pétrochimie et de Synthèse Organique Industrielle
Marseille – France

Le Professeur Abus SALAM
Directeur of the International Centre for Theoretical Physics
Nobel Prize of Physics 1979
Trieste – Italie

Le Professeur Johan Jacob SEIDEL
Professor aan de Onderafdeling der Wiskunde en Informatica
Technische Hogeschool Eindhoven
Pays-Bas

Le Professeur Marijan SUNJIC
Professor at the University of Zagreb
Department of Physics
Zagreb – Yugoslavia

Le Professeur Jean Louis VERDIER
Professeur à l’Ecole Normale Supérieure
Centre de Mathématique E.R.A.
Paris – France

Le Professeur Aaldert Hendrik WAPSTRA
Professor aan de Technische Hogeschool te Delft
Wetenschappelijke Direkteur van het Nationaal Instituut voor Kernfysika en Hoge-Energiefysica
Amsterdam – Pays-Bas

Le Professeur Hans WARLIMONT
Professor an der Universität Stuttgart
Abteilungsdirektor der Vacuumschmelze GmbH
Hanau – Bundesrepublik Deutschland

Le Professeur Hans Weidenmüller
Professor und Geschäftsführender Direktor
Max-Planck-Institut für Kernphysik
Heidelberg – Bundesrepublik Deutschland

* * *

Discours du Baron van der Meulen
Président de la Fondation Francqui

Sire,

En maintenant une tradition instaurée par la Dynastie en 1933, le Conseil d’Administration tient à honneur de remercier le Roi – qui a donné tant de gages d’intérêt au développement du haut enseignement et de la recherche scientifique – de Son soutien, mettant en exergue par Sa présence à cette cérémonie, l’importance scientifique que le monde académique international reconnaît à nos Lauréats, liste prestigieuse complétée aujourd’hui par un savant dont l’Université Libre de Bruxelles s’honore de compter parmi les siens.

Que le Roi daigne m’autoriser à l’informer que la Fondation Francqui existe depuis un demi-siècle et qu’elle commémorera ce jubilé en mai 1983, dat du 50ème anniversaire de la remise du premier Prix Francqui à Henri PIRENNE.

Si le montant de nos contributions à l’effort scientifique du Pays est modeste, comparé aux sommes considérables consacrées à la Science, les interventions de la Fondation Francqui sont cependant fort recherchées – est-il besoin de la souligner à cause du rayonnement qu’elles confèrent tant sur le plan international que national.

Avec l’autorisation du Roi, je donnerai maintenant lecture du diplôme, après avoir cepenant remercié les Membres du Jury – représentés ce jour par M. WAPSTRA, Professeur à la Technische Hogeschool te Delft – pour l’aide qu’ils ont apportée à la notre Institution.

Notre Conseil d’Administration, en séance du 20 avril 1982, a conféré le Prix Francqui 1982 à M. François ENGLERT, Professeur à l’Université Libre de Bruxelles, qui s’est distingué dans le domaine des Sciences Mathématiques, Physiques et Chimiques.

En prenant cette décision, le Conseil a fait sienne la proposition d’un Juy International dans lequel siègeaient : MM. BARROW, BARTON, CIARLET, MEMELINK, METZGER, SALAM, SEIDEL, SUNJIC, VERDIER, WAPSTRA, WARLIMONT et WEIDENMÜLLER, Professeurs d’Universités Allemandes, Britanniques, Françaises, Néerlandaises, Pakistanaises, et Yougoslaves, et M. Marcel GROSJEAN, en qualité de Secrétaire du Jury.

Né le 6 novembre 1932, M. ENGLERT a fait ses études à l’Université Libre de Bruxelles.

Il y fut assistant en 1956, chargé de cours de 1961 à 1964 et Professeur  extraordinaire de 1964 à 1967.

Depuis 1967, il y est Professeur ordinaire et depuis 1975, il y exerce également les fonctions de Directeur du Service de Physique GénéraleI et de Directeur du Service de Physique Théorique depuis 1980.

Le Jury a notamment pris en considération sa contribution à la compréhension théorique du phénomène de brisure de symétrie en physique fonamentale, où avec R. BROUT il a été le premier à montrer que les brisures spontanées de symétrie produisaient en théorie de jauge, des masses pour les particules de jauge.

Le Jury a également constaté l’extension de ses contributions dans d’autres domaines comme la physique de l’état solide, la mécanique statistique, la théorie quantique des champs, la relativité générale et la cosmologie, tout en reconnaissant l’originalité et l’importance fondamentale de ses travaux.

Au nom de la Fondation Francqui, j’adresse au Lauréat nos plus vives félicitations.

Als Voorzitter, en in naam van het Francqui-Fonds, feliciteer ik van harte de Laureaat.

Moge het de Koning behagen de aanwijzing van Professor ENGLERT als Laureaat van de Francqui-Prijs 1982 te willen onderschrijven en hem dietengevolge het diploma van onze Instelling te willen overhandigen.

Qu’il plaise au Roi de consacrer la désignation de M. ENGLERT comme Lauréat du Prix 1982 en lui remettant le diplôme de notre Institution.

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Discours du Professeur François Englert

C’est avec joie et fierté que je vous exprime ma reconnaissance pour l’honneur que vous me faites en me remettant le Prix Francqui.

Le travail que vous récompensez ainsi est le résultat d’une collaboration longue de plus de vingt ans entre le professeur Robert BROUT, d’origine américaine, et moi-même.  Nous avons tous deux bénéficié d’aides et d’encouragements à l’Université Libre de Bruxelles, du soutien cordial et efficace de l’Unité de Physique Théorique et Mathématique de l’Université Catholique de Louvain et de l’Instituut voor Theoretische Fysica » de la Katholieke Universiteit te Leuven.  Nous voudrions en particulier exprimer toute notre gratitude au professeur Paul GLANSDORFF qui, à l’Université de Bruxelles, nous a accueilli dans son service qu’il a voulu édifier à l’image de son humanisme et de son savoir.  Qu’il reçoive ici le témoignage de mon admiration et de mon amitié.

Sire,
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,

La physique théorique tente d’interpréter la diversité des phénomènes observés à partir de lois générales.  Les succès prestigieux de cette entreprise, du 17e siècle à nos jours, nous laissent émerveillés mais insatisfaits parce que nous ne comprenons pas la raison d’être des lois que nous découvrons.  Ainsi, le physicien contemporain est amené à poser une question à laquelle il espère trouver une réponse qui puisse en éclairer le sens : peut-on concevoir une loi unique qui régisse tous les phénomènes ?

Toutefois, la réponse à cette question paraît, au premier abord, simplement négative.  En effet, l’ensemble des phénomènes naturels connus se répartissent en deux classes distinctes.  D’une part les phénomènes électromagnétiques et gravitationnels sont caractérisés par des forces, bien connues, qui s’exercent entre objets quelle que soit la distance qui les sépare.  D’autre part, les phénomènes nucléaires révèlent l’existence de plusieurs autres forces qui n’agissent qu’entre objets très proches les uns des autres.  Comment dès lors, peut-on trouver une origine commune à des forces dont les portées sont si différentes ?

Mais en fait il est possible d’unifier dans une même théorie des forces à longue et à courte portée.  C’est ce qui fut établi en 1964 par BROUT et ENGLERT, et peu après, indépendamment, par HIGGS.

Notre analyse à comme point de départ la réinterprétation dans le cadre général des théories dites de « jauge » de la théorie Maxwellienne de l’électromagnétisme.  Les théories de jauge, introduite par YANG et MILLS en 1954 expliquent l’existence et la nature de forces à longue portée comme corollaire de l’existence de lois de conservations exactes ; en particulier les forces caractéristiques de l’électromagnétisme deviennent ainsi des conséquences de la conservation de la charge électrique.  En faisant l’hypothèse dans ce cadre théorique, que les réactions entre particules « élémentaires » constitutives de toute matière conserveraient, outre la charge électrique, d’autres grandeurs fondamentales, on en déduirait l’existence d’autres forces à longues portées associées à ces nouvelles grandeurs conservées.  Notre théorie démontre que des forces de cette nature sont, sous certaines conditions, instables : les lois de conservation dont ces forces dérivent cessent alors d’opérer, les effets à grande distance se convertissent en masse et seuls subsistent des effets résiduels de courte portée.  Ainsi la possibilité d’une transformation spontanée de forces à longue portée en forces à courte portée permet effectivement dans le cadre des théories de jauge d’attribuer à ces deux types de force une origine commune.  C’est à ce mécanisme théorique que l’on a donné le nom de « brisure spontanée de symétrie en théorie de jauge ».

Il faut ajouter que les théories de auge sans brisure sont renormalisable », ce qui signifie qu’il est possible d’en déduire toutes les implications expérimentales éventuelles à partir d’un petit nombre de constantes accessibles à l’expérience.  Cette propriété fondamentale, qui assure le caractère prédictif de ces théories, est préservé dans le cas d’une brisure spontanée.  C’est ce que nous avions suggéré et partiellement établi en 1966 et qui fut démontré rigoureusement en 1971 par ‘t HOOFT qui obtint le Prix WOLF en 1982.

La voie était ainsi ouverte à la recherche de lois unifiant des forces à longue et à courte portées.  La théorie unifiée des forces nucléaires dites faibles et des forces électromagnétiques, due à GLASHOW, SALAM et WEINBERG, entièrement basée sur le mécanisme que nous proposions, fut corroborée par l’expérience.  Elle valut à leurs auteurs le prix NOBEL de Physique en 1979.

On peut cependant envisager des synthèses plus larges encore : dès 1973, PATI et SALAM, et ensuite d’autre auteurs, proposèrent des modèles par lesquels ils tentaient d’unifier, toujours sur la base de la théorie de brisure spontanée, toutes les forces nucléaires et l’électromagnétisme.  Mais un nouvel obstacle fondamental semblait s’opposer à l’établissement d’une loi unique qui gouvernerait tous les phénomènes naturels.  En effet, toute unification incluant les forces gravitationnelles semble, par suite de la nature même de ces forces, conduire inévitablement à la formation de structures instables.  Toutefois en 1978, BROUT, ENGLERT et GUNZIG proposent une théorie selon laquelle ces instabilités auraient pour effet la création de l’univers lui-même ; dans cette théorie, recompensée par le premier prix du concours international de la Gravity Research Foundation, c’est la pression négative qui résulte de la genèse même des structures matérielles qui stabilise alors initialement le champ de gravitation.  Dans un développement récent de cette théorie, CASHER et ENGLERT montrent que ces structures matérielles initiales doivent former des « trous noirs » qui tisseraient ainsi la trame de l’espace et du temps.  Ils suggèrent qu’une telle configuration résoudrait complètement le problème de l’instabilité gravitationnelle.  Ces considérations tracent ainsi des voies nouvelles à la recherche d’une théorie unifiée qui régirait non seulement le comportement de tous les éléments constructifs de notre univers, mais aussi son origine, voire son destin.

C’est ainsi que je puis, à ce stade, résumer l’enjeu de nos recherches.  Une vérification de nos hypothèses concernant l’origine de l’univers, car à l’heure actuelle il ne s’agit encore que d’hypothèses même si celles-ci sont induites à partir de structures théoriques rigoureuses, impliquerait des mies en question dont on ne peut sous-estimer l’ampleur.  La conception cosmologique selon laquelle le Tout s’identifie avec l’univers, conçu comme extrapolation à grande échelle des mondes qui nous entourent, s’effondrerait devant l’apparition d’une multiplicité d' »univers » semblables au nôtre.  On peut en effet montrer que la trame d’espace et de temps envisagée implique la genèse et la mort de structures comparables à celle de notre univers mais qui en contiennent d’autres à l’intérieur de chacune d’elles, sans pour autant qu’un de ces univers soit de manière absolue plus petit qu’un autre dans lequel il serait inclus.  Un tel effondrement du présupposé cosmologique pourrait à son tour remettre en question ce qui jusqu’à présent est demeuré un a priori scientifique : l’objectivité et l’irréductibilité de l’espace et du temps.  Mais tout progrès vers un tel bouleversement requiert, comme toute physique valable, une mise en garde du physicien à l’égard des pièges logiques et idéologiques qu’il se pose à lui-même.  Carla physique est une tension sans compromis vers la preuve expérimentale, même si elle est une aventure intellectuelle.

Tout notre travail s’insère dans la perspective générale du développement des connaissances dont le champ d’application ne cesse de s’élargir.  Mais j’éprouve un certain malaise en terminant mon propos, parce que je crains qu’il ne contribue à entretenir l’illusion que mon pays puisse participer longtemps encore à ce développement et puisse bénéficier des résultats qui en découleront.  Dès lors, je ne puis taire, par un silence complaisant, la crainte précise que j’ai de voir mon pays dépasser le point de non retour vers un sous-développement scientifique durable.  Le départ à l’étranger de presque tous les jeunes chercheurs de grande valeur à réduit notre potentiel de recherche fondamentale en raison inverse de la médiocrité qui s’installe à l’intérieur de nos institutions scientifiques.  Il faut voir, dans cette dégradation culturelle, non pas le résultat direct d’une réduction de crédits disponibles, mais plutôt celui de l’incompétence et du manque de courage d’organismes de décision qui n’ont pas pu sélectionner les nominations par le seul critère qu’une institution de niveau universitaire soit en droit de prendre en considération : la qualité.

Mais ma crainte reste tempérée par un espoir.  Dire le danger qui menace est un appel à la parade.  Sire, Votre présence et Votre écoute attentive ne sont pas seulement un hommage qui valorise la recherche scientifique ; elles sont aussi, je veux le croire, le garant de ce que la parade peut être trouvée et qu’elle le sera.

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