1977 – Rapport Jury Jacques Taminiaux


R
emise solennelle du Prix Francqui
par Sa Majesté Le Roi Baudouin
à la Fondation Universitaire le 1er juin 1977

Curriculum Vitae – Rapport du Jury – Discours

Jacques Taminiaux

Curriculum Vitae

Né à Seneffe, le 29 mai 1928

Diplômes universitaires :

Docteur en droit, 1950 et Docteur en philosophie, 1954
Maître-agrégé de l’Institut Supérieur de philosophie, 1967
Université Catholique de Louvain
Elève étranger de l’Ecole normale supérieure de Paris, 1950-1952

Fonctions :

Professeur ordinaire à l’Institut supérieur de philosophie de l’Université Catholique de Louvain : Histoire de la philosophie, philosophie de l’art, textes phénoménologiques.

Curriculum Vitae :

Aspirant Chargé de recherches et Chercheur qualifié du Fonds National de la Recherche Scientifique de 1954 à 1960.
Secrétaire de rédaction depuis 1958, année de sa fondation par le Père Herman-Leo Van Breda, de la collection « Phaenomenologica » publiée à La Haye, Nijhoff, sous le patronage des centres d’archives-Husserl de Louvain, Cologne, Fribourg en Brisgau, Paris, New York.
Chargé de cours, 1960.  Professeur ordinaire à l’Unversité Catholique de Louvain, 1967.
Enseignement régulier à titre de Visiting Professor à la Graduate School – Boston College (Etats-Unis) depuis 1968.
Professeur invité à l’Univesité Laval de Québec (Canada), 1971.
Directeur du Centre d’Etudes phénoménologiques, Centre d’Archives – Husserl, fondé en 1973 suite à la scission de l’Université de Louvain et chargé de préparer l’édition de textes inédits de Husserl en collaboration avec le Husserl-Archief te Leuven.
Directeur du Centre d’Esthétique philosophique.
Co-Directeur du Centre d’Histoire de la Philosophie moderne et contemporaine.
Consulting Editor de Philosophy and Phenomenlogical Research et de Cultural Hermeneutics (USA).
Membre d’Honneur du Husserl Circle of America.
Membre de la Libre Académie de Belgique (Académie Picard).

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Rapport du Jury (16 avril 1977)

Considérant le sens qu’il a des problèmes qui se posent dans la situation actuelle de la philosophie et du monde,

considérant le sens qu’il a des problèmes qui se posent dans la situation actuelle de la philosophie et du monde,

considérant l’importance de ses vues sur l’histoire de la philosophie où cette situation se crée,

considérant la valeur propre de ses recherches et la puissance de son esprit spéculatif ainsi que l’influence profonde que son oeuvre exerce dans le monde de la pensée phénoménologique,

considérant que le Professeur Taminiaux s’est acquis une autorité internationale et a apporté à la philosophie une contribution importante qui a notablement accru le prestige de la Belgique,

décide de conférer le Prix Francqui 1977 à Monsieur Jacques TAMINIAUX, Professeur à l’Institut supérieur de Philosophie de l’Université Catholique de Louvain.

Jury international dans lequel siégeaient :

Le Professeur Emmanuel Levinas
Professeur à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines
Professeur honoraire à la Sorbonne
Paris – France
                                                                             Président

et

Le Professeur Frank H. Hahn
Professeur d’Economie
University of Cambridge

Le Professeur Henrich M. Heinrichs
Professeur à la Freie Universität Berlin
Allemagne

Le Professeur Peter Mathias
Chichele Professor d’histoire économique
Fellow au All Souls College
Oxford

Le Professeur René Pomeau
Professeur de Littérature française à l’Université de Paris-Sorbonne (Paris IV)
Paris – France

Le Professeur Claude Ponsard
Professeur à la Faculté de Science économique et de Gestion
Université de Dijon
Directeur de l’Institut de Mathématiques économiques
Professeur à l’Ecole nationale supérieure du Pétrole et des moteurs
Vincennes – France

Le Professeur Gerhard Schneider
Professeur du Nouveau testament
Ruhr Universität Bochum

Le Professeur David Winfield
Historien d’art
Senior Research Fellow du Merton College
Oxford
                                                                                

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Discours du Baron J. van der Meulen
Président de la Fondation Francqui

Sire,

En daignant rehausser de Votre présence l’éclat de cette cérémonie de remise solennelle du quarante-quatrième Prix Francqui, Votre Majesté donne une fois de plus une preuve réconfortante du souci constant qui L’anime de voir se maintenir une élite nombreuse d’hommes de science et de chercheurs.

Notre Fondation puise de Votre geste un précieux encouragement dans la tâche qu’elle s’est assignée; elle Vous témoigne, Sire, sa plus vive reconnaissance.

Permettez-moi de saisir cette occasion pour dire à Votre Majesté, en quelques mots très simples mais profondément sincères, que le Monde académique s’associe aux sentiments d’affection que ressent pour Elle le peuple belge tout entier.

Sire,

Mesdames,

Messieurs,

Au cours de sa séance du 18 avril dernier, notre Conseil d’Administration – se raliant à l’avis du Jury qu’il avait chargé de lui faire rapport – a décerné le Prix Francqui 1977 au Professeur Jacques TAMINIAUX.

Ce Jury composé uniquement d’éminentes personnalités scientifiques étrangères, estima que :

– par le sens qu’il a des problèmes qui se posent dans la situation actuelle de la philosophie et du monde;

– par l’importance de ses vues sur l’histoire de la philosophie où cette situation se crée;

– par la valeur propre de ses recherches et la puissance de son esprit spéculatif ainsi que par l’influence profonde que son oeuvre exerce dans le monde de la pensée phénoménologique;

Le Professeur TAMINIAUX s’est acquis une autorité internationale et a apporté à la philosophie une contribution importante qui a notablement accru le prestige de la Belgique.

Interprète des sentiments qui nous animent, je me fais une joie d’apporter au Lauréat l’expression de nos plus vives félicitations.

Le Conseil m’a également chargé d’exprimer la reconnaissance de la Fondation Francqui aux Membres du Jury.

Qu’il me soit permis aujourd’hui d’évoquer le souvenir du Père VAN BREDA, homme d’action autant que philosophe, qui ramena – au péril de sa vie – quelque 40.000 pages sténographiées d’Edmund HÜSSERL, écrits menacés de destruction par le IIIème Reich.

C’est à l’initiative du Père VAN BREDA que furent créées à l’Université de Louvain les célèbres Archives Hüsserl qui ont permis à tant de chercheurs de consacrer leurs travaux à l’oeuvre de ce grand Maître de la philosophie phénoménologique.

Sire,

Depuis la création de la Fondation Francqui, la Dynastie a laissé dans cette Maison et dans le coeur de tous les hommes de science un impérissable souvenir en établissant la tradition que le Prix Francqui soit proclamé en présence du Roi.

Daignez accepter, Sire, notre profonde gratitude.

* * *

Discours du Professeur Jacques Taminiaux

Sire,

Lorsque l’honneur est trop intense, il n’invite pas à la vanité mais à la modestie.  Qu’il me soit permis d’exprimer en ce sens la gratitude profonde que je voue à votre Majesté pour ce qu’Elle daigne me remettre aujourd’hui la prestigieuse distinction qu’est le Prix Francqui.  La solennité que confère à cette cérémonie la présence de Votre Majesté serait sans proportion avec la portée de mes travaux si elle ne venait manifester avec éclat que, par-delà le mince maillon qu’ils constituent, c’est la grande chaîne des chercheurs, des enseignants et des étudiants universitaires de Belgique qui est ici honorée et ecouragée par une témoignage insigne de la sollicitude de Votre Majesté pour les disciplines intellectuelles et de Sa ferme volonté de favoriser au maximum la recherche scientifique et l’enseignement universitaire.  Que Votre Majesté daigne me permettre en outre de considérer que le grand honneur qu’Elle me fait serait bien excessif s’il ne concernait, bien au-delà de ma personne, à la fois la discipline à laquelle je me suis voué, ceux qui dans ce pays y consacrent leurs efforts l’institution à laquelle j’appartiens, et tous ceux, morts ou vivants, qui m’ont servi d’exemple.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

Au premier rang de ceux vers qui s’élève aujourd’hui ma reconnaissance, j’évoquerai d’abord la mémoire, impérissable à mes yeux, de celui envers qui ma dette est la plus grande.  J’eus le privilège, en effet, d’être associé très tôt dans ma carrière scientifique, et pendant plus de quinze ans, aux activités d’un maître d’une envergure, d’une générosité et d’un dynamisme exceptionnels : feu le Père Herman-Leo Van Breda, fondateur et directeur du Hussert-Archief/Archives Husserl de Louvain.  On connaît l’exploit qui fit sa légende : dans les sombres mois qui précèdèrent la deuxième guerre mondiale, il était parvenu à force de courage, de patience, de ruse, à sauver les précieux et très nombreux manuscrits de recherche d’Edmund Husserl, initiateur de la phénoménologie, mort depuis peu, et dont les nazis, parce qu’il était juif, s’apprêtaient à effacer toute trace écrite.  Mais cet exploit n’aurait pas marqué comme il le fit la pensée contemporaine, si le Père Van Breda n’était pas parvenu à mettre en valeur et à faire connaître universellement l’héritage husserlien.  C’est avec une rigueur, une persévérance, une inventivité non moins surprenantes que son courage, qu’il se consacra à diriger sa monumentale édition critique de l’oeuvre de Husserl, les Husserliana, dont il confia l’exécution à une pléiade de collaborateurs allemands et suisses qui s’illustrèrent ensuite par ailleurs, comme auteurs de quelques-uns des travaux philosophiques les plus remarquables des dernières décennies : Eugen Fink, Ludwig Landgrebe, Walter Biemel, Rudolf Boehm, Iso Kern.  J’ai conscience que c’est au Père Van Breda que je doit d’avoir pu faire quelques pas sur le chemin de l’interrogation philosophique.  Grâce à l’offre qu’il m’adressa dès 1956 d’assurer le secrétariat de rédaction des Phaenomenologica, collection internationale fondée par lui et patronnée par les centres d’Archives-Husserl qu’il avait établis à Cologne, à Fribourg-en-Brisgau, à Paris et à New York, je me trouvai, tout jeune chercheur, mis en contact avec la plupart de ceux qui, en Allemagne, en France, aux Etats-Unis, en Belgique même, se sont inspirés des travaux de Husserl et composent ce qu’on a coutume d’appeler le mouvement phénoménologique.

De ceux-là, faute de pouvoir les citer tous, on me pardonnera de n’évoquer que trois noms envers qui ma dette est grande.  Celui, tragique, d’un mort récent, le Professeur Jan Patocka, de Prague, ancien élève de Husserl, qui me fit l’honneur de siéger dans le jury de ma thèse d’agrégation, et dont la seule règle de vie, de pensée, et de mort, fut la probité.  Celui d’Emmanuel Levinas, Professeur à la Sorbonnen qui présida cette année le jury international chargé de décider de l’attribution du Prix Francqui, attribution dont l’honneur me paraît d’autant plus écrasant que Monsieur Levinas est l’auteur de quelques-uns des rares écrits contemporains dont quiconque veut penser ne peut aujourd’hui faire l’économie.  Celui, enfin, d’Alphonse De Waelhens, Professeur à l’Université de Louvain, qui encouragea mes premiers travaux, dirigea mes thèses de doctorat et d’agrégation, me fit bénéficier d’un dialogue aussi cordial qu’enrichissant, et qui, par ses travaux personnels dont plusieurs sont des classiques du mouvement phénoménologique, me servit de guide et d’exemple.

A ces noms, ce m’est un devoir bien agréable d’ajouter ceux de quatre institutions.  Celui d’abord de la maison qui m’a initié à l’interrogation philosophique, avant de me confier la responsabilité d’un enseignement, l’Institut supérieur de philosophie de l’Université de Louvain, où furent conçus depuis plusieurs décennies quelques-uns des travaux qui ont contribué le plus à la réputation de la recherche philosophique belge.  Celui aussi de l’Ecole normale supérieure de Paris qui voulut bien jadis m’agréer pendant deux ans comme pensionnaire étranger.  Celui, ensuite, du Fonds national belge de la Recherche scientifique, qui m’accorda les mandat successifs d’aspirant, de chargé de recherche et de chercheur qualifié.  Celui, enfin, de la Graduate School du Boston College, aux Etats-Unis, qui m’a fait l’honneur, à plusieurs reprises, depuis quelques années, de me confier, dans le cadre de son programme d’échanges internationaux, la responsabilité d’un cours et d’un séminaire.

Enfin, il m’est agréable de pouvoir dire publiquement la reconnaissance que je voue à ma femme, dont le dialogue et les travaux personnels – philosophiques et littéraires – ont toujours exercé sur moi un appel d’une très haute exigence et d’une stimulation essentielle.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

Concernant mes travaux, je dirai d’abord que j’appartiens à une génération qui a pris la finitude au sérieux.  Au lendemain de la guerre, à l’époque où l’interrogation philosophique a commencé de prendre corps à mes yeux et de me requérir, deux oeuvres phénoménologiques ont imposé les coordonnées de mon itinéraire et l’ont pour ainsi dire placé sous le signe  de la finitude : celle de Martin Heidegger et celle de Maurice Merleau-Ponty.  Ils étaient philosophes, et des plus grands, l’un et l’autre.  Je n’ai pas eu la présomption de le vouloir être, mais tout au plus de pratiquer l’étude de l’histoire de la philosophie moderne et contemporaine d’une manière qui fût elle-même philosophique.  A cet égard, qu’on me permette de dire que je me suis reconnu dans un mot de Jean Hyppolite dont j’ai eu le privilège de suivre l’enseignement à Paris, et qui disait : « Ne parvenant pas à être poète, je décidai d’être philosophe, et n’y parvenant pas davantage, je me contentai d’être historien de la philosophie. »

Prendre au sérieux la finitude dans l’étude de l’histoire de la philosophie, ce fut là le principe qui m’amena à me concentrer sur certains moments et certains rapports privilégiés de cette histoire et à les aborder d’une manière spécifique.

L’idéalisme allemand, ce très riche mouvement de pensée qui va du criticisme de Kant à la dialectique de Hegel, représente à mes yeux un moment d’exception et un réseau de rapports privilégiés.  C’est qu’avec Kant fait irruption pour la première fois dans l’histoire de la pensée moderne, l’idée que la finitude est constitutive de la manière d’être de l’homme, et que toute ambition d’édicter l’essence de e qui du point de vue d’un étant suprême oblitère la nature même de la pensée, qui ne peut être spontanée et productive de connaissance que par sa soumission à une réceptivité fondamentale.  Mais le paradoxe du kantisme est qu’il ait déclénché – sur le lieu théorique précis dont Kant faisait le document de la finitude, à savoir l’imagination transcendantale – deux mouvements divergents, l’un qui fut lié aux noms de penseurs-poètes tels que Schiller et plus encore Hölderlin, et qui conduisit à une sorte d’inscription de plus en plus résolue dans la finitude, l’autre, associé aux noms de Schelling et plus encore de Hegel, qui consista à porter à l’obsolu cela même dont Kant s’était dépris, l’ontothéologie, comme savoir de l’essence de ce qui est, eu égard à un étant suprême.  C’est ce paradoxe que j’ai tenté de méditer.  Il se ramenait à cette question : comment la première déconstruction rigoureuse de l’ontothéologie à laquelle vise tout l’effort de la métaphysique, a-t-elle pu inspirer la métaphysique la plus absolutiste qui soit ?  Cette question, il m’eut été impossible de l’aborder et encore moins de l’articuler ailleurs que dans le sillage de Heidegger et de son immense effort de remontée au fondement caché et radicalement fini de la métaphysique, ce fondement auquel Heidegger a donné le nom de « différence ontologique », voulant marquer par là que l’Etre est irréductible à tout effort de totalisation et d’adéquation.

Mais d’affronter le paradoxe que je viens d’évoquer résulte une manière bien spécifique de pratiquer l’étude et l’interprétation des oeuvres de philosophie.  C’est qu’en effet ce qui est en jeu, au coeur de ce paradoxe, c’est le statut même de l’oeuvre de philosophie.  Si vraiment l’attention scrupuleuse à la finitude, qui fut au centre de la démarche kantienne, fut elle-même inspiratrice d’une nouvelle métaphysique absolue, et si vraiment, d’autre part, la métaphysique, aussi absolue soit-elle, a pour fondement, fût-il oblitéré, la finitude même, alors ne faut-il pas voir en cette double possibilité comme un avertissement général pour le travail d’interprétation des oeuvres de philosophie ? Cette double possibilité n’invite-t-elle pas, autrement dit, à interroger sans relâche ce qui dans l’oeuvre la plus attentive à la finitude risque de la pervertir en savoir absolu, et ce qui, inversement, dans l’oeuvre la plus délibérément absolue, est témoignage de la finitude ?

Sur ce point, j’ai été amené à reconnaître la grande fécondité des concepts forgés par Merleau-Ponty pour caractériser les tâches de l’historien de la philosophie.  Concepts dont sa mort prématurée l’empêcha de développer la théorie, mais que lui-même avait mis en pratique de manière inégalée dans l’interprétation de Husserl qu’il nous a léguée.  De cette interprétation qui m’a toujours beaucoup frappé par l’attention qu’elle portait à ce qui, dans le texte même de Husserl, débordait les principes déclarés du fondateur de la phénoménologie et sa méthode d’évidence absolue, j’ai cru pouvoir dégager deux maximes générales.  La première est de tenter toujours, tout en reconnaissant à l’oeuvre le bénéfice d’un maximum de cohérence intrinsèque, et en prenant pour premier guide son texte même, de repérer ce qui en elle est décalé par rapport à ce qu’elle voulait penser, ou ce qui, en elle, excède ses principes manifestes, ou encore ce qui reste à penser dans ce qu’elle a pensé.  De quoi découle la seconde maxime : pour faire droit à ce qui rest à penser, il faut que l’interprète s’efforce de penser à son tour.  C’est en vertu de ces maximes que j’ai été conduit à m’intéresser particulièrement à des rapports entre philosophes.  Lorsque Hölderlin et Schiller lisent Kant et Fichte, lorsque Merleau-Ponty lit Husserl, lorsque Hegel lit Kant, lorsque Heidegger lit Hegel ou Husserl, il y a comme l’émergence d’un texte nouveau dans un texte ancien, et le regard que jette l’héritier sur l’oeuvre à travers laquelle il se cherche est tel que l’oeuvre initiale opère sur son lecteur-philosophe, comme celui-ci sur celle-là, ce que Merleau-Ponty appelait un « rapport d’empiètement ».

Comme la reconstitution de ces rapports d’empiètement est elle-même interrogative, on comprendra que le Prix Francqui ait été pour moi une heureuse surprise.  A celui dont la pensée s’est faite interrogative, une dinstiction comme celle qui m’échoit aujourd’hui est accueillie comme le signe de ce que ses questions n’avaient pas l’extravagance d’une pure rumination intérieure, qu’elles pouvaient être reprises par d’autres et éveiller des échos.  Mais justement parce qu’il y va d’une démarche essentiellement interrogative, on comprendra aussi que la très haute distinction qui m’est faite soit accueillie par moi non pas comme une consécration mais comme une obligation, celle de continuer à questionner avec une rigueur accrue.

A cette tâche, l’enseignement, mon beau métier, est d’un appui irremplaçable, et c’est pourquoi, pour conclure, je suis heureux de rendre hommage ici à mes étudiants de Louvain et de Boston, pour m’avoir accordé le privilège de leur attention et m’avoir soumis à la haute exigence de leurs questions et de leurs objections.

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