1940 – Rapport Jury Pierre Nolf

Remise solennelle du Prix Francqui par
Sa Majesté Le Roi Léopold IIIet la Reine Astrid
à la Fondation Universitaire le
1er mai 1940

Curriculum Vitae – Rapport du Jury – Discours

 

 

Curriculum Vitae

(26/07/1873 – 14/09/1953)

Né à Ypres, le 26 juillet 1873

Diplômes Universtaires :

Docteur en médecine, Université de l’Etat à Liège, 1896

Fonctions :

Professeur émérite de la Faculté de Médecine de l’Université de l’Etat à Liège, 1943

Curriculum vitae :

Assistant à la Clinique médicale puis au Service de Physiologie de l’Université de l’Etat à Liège, 1897
Chargé de cours (policlinique médicale et clinique médicale des enfants), 1901-1914
Directeur de l’Hôpital civil (maladies infectieuses), St-Idesbald (Coxyde), 1915-1917
Directeur de l’Hôpital militaire Cabour, Adinkerke (médecine interne), 1917-1919
Professeur ordinaire (pathologie et thérapeutique générales), 1919-1943
Membre de la Commission des Publications et des Subsides de la Fondation Universitaire, 1921-1922
Ministre des Sciences et des Arts, 1922-1925
Président de la Croix-Rouge de Belgique, 1925-1945
Gouverneur de la Ligue internationale des Sociétés de Croix-Rouge, 1925-1945
Directeur de la Fondation Médicale Reine Elisabeth, 1926-1953
Président du Fonds Reine Elisabeth pour l’assistance médicale aux indigènes du Congo Belge « FOREAMI », 1931
Membre du Conseil d’Administration du Fonds National de la Recherche Scientifque, 1928-1938
Membre de la Commission de Physiologie et Biochimie (normale et pathologiques) et de Pharmacologie du Fonds National de la Recherche Scientifique, 1928-1938; Président, 1938-1943
Membre de la Commission de révision du règlement de la Fondation Universitaire et du Fonds National de la Recherche Scientifique, 1928-1940
Membre de la Commission spéciale de constitution du Fonds National de la Recherche Scientifique, 1928-1953
Membre de la Commission pour l’étude du surpeuplement des Universités et du chômage des intellectuels, de la Fondation Universitaire, 1935-1937
Membre de la Commission consultative du Bureau de Statistiques Universitaires de la Fondation Universitaire, 1938-1941
Professeur émérite, 1943

Distinctions scientifiques :

Lauréat du Concours des bourses de voyage du Gouvernement, 1896
Prix du Concours quinquennal des sciences médicales (11e période, 1906-1910)
Prix Francqui, 1940
Membre titulaire, 1919; Directeur de la Classe des Sciences, 1932 de l’Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique
Membre de l’Académie de Médecine du Brésil, 1920
Membre titulaire, 1921; Président, 1936 de l’Académie royale de Médecine de Belgique
Membre associé de la Société de Biologie de Paris, 1927
Membre associé honoraire de l’Académie nationale de Médecine du Mexique, 1930
Membre correspondant de l’Académie de Médecine de Paris, 1933
Membre titulaire de l’Institut royal colonial, 1929; honoraire, 1953

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Rapport du Jury (18 mars 1940)

Considérant que les travaux du Professeur Pierre NOLF sur le mécanisme de la coagulation du sang, et plus généralement sur l’équilibre physico-chimique des humeurs, travaux dont les conclusions ont reçu de nombreuses confirmations et applications récentes, agissent encore actuellement en raison de l’originalité et de la vaste portée des conceptions qui s’en dégagent, comme un véritable ferment de l’investigation scientifique,

considérant que par ses recherches expérimentales sur l’agencement structural du système nerveux autonome gastro-entérique, ses relations avec le système nerveux central et ses propriétés fonctionnelles, l’éminent Professeur a apporté récemment encore à la Science une contribution importante, dont la valeur a augmenté le prestige de la Belgique,

décide de conférer le Prix Francqui 1940 à Monsieur le Professeur Pierre NOLFT.

Jury international dans lequel siégeaient :

Le Professeur A. Mayer
Professeur au Collège de France, Paris

Membre de l’Institut de France
                                                                         Président

Le Professeur Fr. Bremer
Professeur à l’Université de Bruxelles

Le Professeur H. De Waele
Professeur à l’Université de l’Etat à Gand

Le Professeur A.K.M. Noyons
Professeur à l’Université d’Utrecht

Directeur du Laboratoire de Physiologie

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Discours de Monsieur Félicien Cattier
Président de la Fondation Francqui

Sire,

Madame,

La Fondation Universitaire a été créée par une loi du 6 juillet 1920, le Fonds National de la Recherche Scientifique date du 2 juin 1928 et la Fondation Francqui est née le 25 février 1932.

L’action conjuguée de ces trois établissements pendant la durée relativement courte de leur existence, a commencé à produire les résultats qu’espéraient leurs créateurs.  Je suis heureux de pouvoir donner à Vos Majestés l’assurance que la production scientifique belge va croissant en volume et en qualité.

Le Prix Nobel, récemment attribué au Professeur Corneille Heymans, honore notre pays.  Nous sommes fiers d’avoir pu faciliter ses travaux.  Le Professeur Heymans n’a jamais manqué de rendre hommage aux services que nos Fondations lui ont rendus.

Sire,

L’œuvre déjà réalisée, la moisson déjà récoltée, nous permettent d’espérer de nouveaux progrès.  Les pays étrangers ne manquent point de citer nos Fondations comme un exemple à étudier et à imiter.

Sire,

Le choix de la Fondation Francqui s’est porté, cette année, sur le Professeur Pierre Nolf.  Le Jury, statuant à l’unanimité, a proclamé que l’œuvre scientifique du Docteur Nolf est brillante et considérable.  Il a mis particulièrement en relief les travaux que le Docteur Nolf a consacrés à l’étude du mécanisme de la coagulation du sang et ses recherches expérimentales sur le système nerveux autonome du tube digestif.

Les travaux sur le mécanisme de la coagulation du sang ont reçu de nombreuses confirmations et applications récentes et agissent encore actuellement comme un véritable ferment de l’investigation scientifique.

Les principales conclusions de l’ensemble remarquable des recherches expérimentales du Docteur Nolf sur le système nerveux autonome du tube digestif obligent la science à réviser radicalement certaines conceptions classiques relatives au système nerveux.

Mon cher Docteur Nolf,

Le Consei d’administration a été heureux de la majorité qui s’est formée si aisément et du premier coup sur votre nom.  Votre succès est d’autant plus grand que votre concurrent, Monsieur Bidez, était redoutable par ses éminents services à la science philologique et par son universelle réputation.

Votre longue carrière scientifique, si pure et si désintéressée, a trouvé le couronnement qu’elle mérite.  Nous nous en réjouissons tous et participons à la joie légitime que ce succès vous donne.

Sire,

Madame,

Le Roi Albert a laissé dans cette maison et dans le coeur de tous les hommes de sciences un impérissable souvenir.  Nous n’oublions pas que c’est à Lui que la Belgique doit la création du Fonds National de la Recherche Scientifique.  Il a établi la tradition que le Prix Francqui fût proclamé en présence du Roi.  Vous êtes resté fidèle, Sire, à la coutume que le Roi Albert a créée.  Notre Fondation Vous en exprime sa profonde gratitude.

Madame,

Je prie Votre Majesté d’agréer les hommages des Membres du Conseil de la Fondation Francqui.

L’honneur si inespéré que Vous nous faites, nous touche profondément.

Vous avez voulu Vous associer, avec cette délicatesse de sentiments qui a signalé toute Votre vie, à la joie d’un homme qui a consacré son existence au service de la science et de Votre Maison.

Permettez-moi de saisir cette occasion pour dire à Votre Majesté, en quelques mots très simples mais profondément sincères, que le monde académique s’associe aux sentiments de respect et d’affection que ressent pour Elle le peuple belge tout entier.

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Discours du Professeur Pierre Nolf,

Sire, Madame, Monsieur le Président, Messieurs,

Mes paroles sont toutes de remerciements :

A Sa Majesté le Roi, qui a bien voulu se soustraire pendant quelques temps aux lourds soucis que lui inspire la menace pesant sur le pays et nous donner une marque nouvelle de Sa bienveillance personnelle et de son intérêt constant pour tout ce qui touche aux activités scientifiques de la Belgique ;

A Sa Majesté la Reine Elisabeth qui en daignant assister à cette cérémonie, confère à l’hommage rendu aux efforts du Directeur de la Fondation médicale une valeur inestimable ;

A Monsieur Emile Francqui, créateur de la Fondation Universitaire, mécène éclairé dont le souvenir restera indissolublement lié à tant d’entreprises destinées à favoriser le développement du haut enseignement et de la science dans notre pays;

Au Conseil d’administration de la Fondation Francqui qui m’a fait l’insigne honneur de ma juger digne de recevoir le Prix Emile Francqui ;

A son Président, Monsieur F. Cattier, dont les paroles trop élogieuses m’ont rempli de confusion ;

Aux savants belges et étrangers qui ont pris l’initiative d’une proposition en ma faveur et à la Commission qui a consacré beaucoup de temps et d’attention à l’appréciation de travaux qui s’échelonnent sur plus de quarante années, et dont le rapport favorable fut cause de ma désignation ;

A vous tous qui m’entourez, et dont la sympathie me réchauffe le coeur.

Mais, au delà du présent, ma pensée remonte vers un passé déjà lointain, celui de ma jeunesse, lorsque étudiant de l’Université de Liège, je fus admis à recevoir l’enseignement des maîtres éminents de la Faculté de Médecine, à cette époque la première du pays.  Ma reconnaissance va particulièrement à ceux auxquels je dois l’initiation à la recherche scientifique et, tout d’abord, à l’illustre biologiste, Edouard Van Beneden, auquel la science est redevable de découvertes fondamentales sur l’essence de la fécondation et de l’hérédité.  Il guida mes premiers pas, ne me ménageant ni les conseils, ni les encouragements ; plus tard, il orienta mes espoirs vers une carrière dans l’enseignement.  Entre lui et moi, se nouèrent des liens qui prirent insensiblement le caractère d’une véritable parenté spirituelle, que seule la mort a pu trancher et dont le souvenir m’est encore infiniment doux.

C’est auprès de Léon Fredericq, dont nul n’apprécia plus que moi les vastes connaissances, l’ingéniosité dans le choix des moyens, la maîtrise opératoire et l’inépuisable bonté, que je fis l’apprentissage des méthodes de la médecine expérimentale.

Je dois à J.B. Masius, le clinicien expérimenté, dont l’enseignement était imprégné d’esprit scientifique, d’avoir été désigné, par lui-même, au Ministre, pour lui succéder dans une partie de son enseignement.

A mes Maîtres vénérés, je suis redevable de ma formation intellectuelle et d’avoir pu, comme eux et après eux, vivre une vie d’étude et de recherche, qui est certes la plus belle à laquelle puisse aspirer un homme.  Hélas ! ils ne sont plus là pour entendre l’expression de ma reconnaissance, et moi-même je suis arrivé au déclin de l’âge ; mais à les sentir si près, j’ai l’illusion, un instant, de redevenir jeune, comme au temps heureux où j’étais admis à les assister dans leurs travaux et à bénéficier de leur sagesse.  Ma gratitude envers eux s’étend à l’Université de Liège qui, après m’avoir dispensé son enseignement, me fit l’honneur de m’accueillir dans son corps professionnel, il y a bien près de quarante ans.

Depuis cette époque déjà lointaine, beaucoup d’années ont passé.  La guerre 1914-1918 est venue, au cours de laquelle les médecins connurent l’inestimable privilège de pouvoir continuer à exercer leur ministère d’assistance et de secours, tandis qu’autour d’eux, l’humanité s’ingéniait à se détruire elle-même.

Ce fut alors que m’échut la faveur d’être présenté à Ceux qui incarnaient les vertus et les espoirs du Peuple belge, LL.MM. le Rois Albert et la Reine Elisabeth.  Ils daignèrent m’accorder leur confiance et m’associer à certaines de leurs initiatives.  Je fus chargé par Eux d’établir les plans et l’organisation d’un Institut de recherches médicales qui, dans Leur idée, devait continuer, une fois la guerre terminée, l’activité bienfaisante des hôpitaux du front belge, dont la création avait été décidée à l’initiative de Sa Majesté la Reine Elisabeth et parmi lesquels celui du Docteur Depage, à la Panne, tenait le premier rang.  C’étaient de vraies écoles de médecine dans l’acception la plus large du mot, dont la parfaite organisation assurait aux soldats qui y étaient soignés, les bénéfices des derniers progrès de l’art de guérir, et permettait aux médecins de participer à ces progrès par leurs observations cliniques et leurs recherches de laboratoire.  Plusieurs découvertes importantes y virent le jour.

Aucune tâche ne pouvait m’être plus agréable, après le retour à Bruxelles, que de m’efforcer de réaliser le voeu de Sa Majesté la Reine Elisabeth.  J’avais connu de trop près, avant la guerre, la pauvreté des moyens mis à la disposition des médecins belges désireux de se livrer au travail scientifique, pour ne pas saluer avec enthousiasme, le projet de créer dans la capitale du pays, un nouveau centre de recherches médicales, bien outillé et largement doté.  N’était-ce pas aussi ma manière la plus adéquate de commémorer l’admirable oeuvre accomplie par Sa Majesté la Reine Elisabeth pour secourir les soldats belges blessés ou malades, au cours des années 1914-1918 ?

Un accord conclu avec la Commission d’Assistance Publique de Bruxelles, autorisa la Fondation médicale Reine Elisabeth établissement d’utilité publique, à prendre, dès l’ouverture de l’Hôpital Brugmann, en 1924, la direction d’un service de médecine et plus tard, en 1931, d’un service de chirurgie.  Les sommes importantes mises à la disposition de Sa Fondation médicale par Sa Majesté la Reine et par quelques généreux mécènes, au nombre desquels je me plais à citer Emile Francqui, permirent la construction, dans l’enceinte de l’Hôpital Brugmann, d’un bel Institut de recherches qui ouvrait ses portes en 1930.  Il contient les laboratoires de toutes les sciences auxiliaires de la médecine : chimie, physique, anatomie, physiologie, bactériologie.  Grâce à cette association étroite entre l’observation au lit du malade avec l’expérience dans les laboratoires, il est possible d’aborder l’étude de tous les problèmes relatifs à la vie normale et pathologique.  Un certain nombre de jeunes chercheurs rémunérés par la Fondation s’adonnent à l’étude, libres de toute charge d’enseignement, pouvant consacrer leur temps à leurs travaux.

Moi-même, j’ai pu reprendre en ces dernières années, des investigations que j’avais dû interrompre il y longtemps, faute des moyens matériels nécessaires.  Si, cette fois, j’ai pu les conduire vers leur conclusion, c’est grâce à l’outillage perfectionné et coûteux qui a été mis généreusement à la disposition de Son oeuvre par l’Auguste Fondatrice.  La réunion, dans un même institut, de laboratoires où se cultivent différentes branches de la science expérimentale, présente l’immense avantage d’établir entre les travailleurs des relations quotidiennes et de mettre ainsi à la disposition de chacun d’eux les connaissances de tous.  Personnellement, j’ai bénéficié, dans une large mesure, des renseignements que j’ai puisés dans mes conversations avec mes jeunes collaborateurs, spécialement avec les physiciens et physico-chimistes, que je me fais un devoir de remercier publiquement en cette occasion.

Les temps du savant solitaire sont révolus.  A mesure que la science se développe et se complique, elle exige davantage de ses adeptes qu’ils se groupent et qu’ils s’associent afin d’atteindre ensemble, par un effort commun, le but poursuivi.  Mais pour que la collaboration soit fructueuse, il faut que dans le groupe restent assurée l’absolue liberté de pensée de chacun et respecté l’esprit d’initiative.

La science dispense à ses adeptes une éducation à la fois intellectuelle et morale.  Elle attend d’eux, qu’ils soumettent leurs opinions et leurs tendances au contrôle de la Raison ; elle exige le respect et l’amour de la vérité ; elle développe le goût de l’ordre et du travail ; elle prêche le respect de la liberté, la pratique de la tolérance te de la solidarité.

Ainsi les Institutions de recherche scientifique participent non seulement à l’avancement des connaissances, elles contribuent encore à la formation de l’élite morale et intellectuelle dont toute société hiérarchisée a un si grand besoin.

J’exprime, en terminant, le voeu qu’il soit donné à la Fondation médicale Reine Elisabeth de remplir avec succès cette double mission et que s’y perpétuent l’esprit d’entr’aide et de dévouement qui planait sur l’Yzer de 1914 à 1918, et la même foi invincible dans les destinées de la Patrie.

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