2024 Veronique Van Speybroeck

Veronique VAN SPEYBROECK
Sciences Exactes – Physique Appliquée

Gewoon Hoogleraar, Vakgroep Toegepaste Fysica,
Centrum voor Moleculaire Modellering, Universiteit Gent

Parcours – Recherche – Rapport du jury

 

Son parcours

Veronique Van Speybroeck en 1974 est née à Gand. Elle est la plus jeune fille d’une famille de trois enfants. Après des études secondaires en sciences-mathématiques, elle entame des études d’Ingénieur Civil à l’Université de Gand. Elle est particulièrement attirée par les cours théoriques et opte pour la spécialité de la Physique Appliquée, où elle devient fascinée par la mécanique quantique. Elle suit le cours « Théorie quantique de la liaison chimique » et elle est profondément intriguée par le fait que la théorie abstraite de la mécanique quantique puisse décrire le comportement des molécules. Dans sa thèse de master, elle explore l’application de la Théorie de la Fonctionnelle de la Densité aux systèmes moléculaires. Cette recherche est menée à l’Institut des Sciences Nucléaires sous la direction du Professeur Michel Waroquier, qui s’intéressait jusqu’ici à la modélisation des interactions de plusieurs particules mises en jeu dans les systèmes nucléaires. L’application d’approches quantiques aux systèmes moléculaires constituaient un domaine inexploité à l’Université de Gand.

Juste après avoir obtenu son diplôme d’Ingénieur Civil en Physique Appliquée en 1997, elle décide d’effectuer un séjour de recherche chez DSM Research à Geleen aux Pays-Bas sur la dynamique moléculaire Car Parrinello et son application aux réactions chimiques d’intérêt dans le domaine industriel. Elle a l’opportunité de collaborer avec Dr. Robert Meier et  Dr. Franco Budo qui sont les pionniers dans le domaine de la dynamique moléculaire quantique appliquée aux réactions catalytiques. Ce séjour de recherche aux Pays-Bas est déterminant dans le début de carrière de Veronique Van Speybroeck, en lui permettant de découvrir comment la modélisation moléculaire peut apporter des réponses à des questions majeures que se pose le monde industriel. En octobre 1997, elle commence une thèse de doctorat à l’Université de Gand sous la direction du Prof. Michel Waroquier. Elle bénéficie d’une autonomie fort appréciable pour développer sa recherche. Animée par sa passion pour la modélisation des systèmes moléculaires avec des applications technologiques importantes, elle recherche activement des collaborations avec des groupes de recherche orientés vers la chimie expérimentale. Elle parvient à collaborer activement avec de nombreux chercheurs qui ne sont pas de sa propre discipline et sa formation en physique lui permet de réaliser des percées majeures dans  le domaine de la chimie et de ses applications.

En 2001, elle obtient son doctorat et elle poursuit par un séjour postdoctoral financé par la Recherche Scientifique Flamande (FWO). Elle s’intéresse alors au domaine des matériaux nanoporeux et en particulier aux propriétés catalytiques des zéolithes. Elle parvient à inspirer plusieurs jeunes chercheurs talentueux à mener des recherches avec elle sur cette nouvelle thématique. En collaboration avec Prof. Michel Waroquier, elle fonde alors le Centre de Modélisation Moléculaire, qui est aujourd’hui devenu un centre de recherche inter-facultaire regroupant une quarantaine de chercheurs. En 2007, elle est nommée professeure à l’Université de Gand. Depuis 2012, elle est professeure à la Faculté des Sciences de l’ingénieur et d’Architecture et elle dirige le Centre de Modélisation Moléculaire.

Tout au long de sa carrière, elle a développé un réseau de collaborateurs expérimentateurs de premier plan en Belgique et à l’étranger. Elle a systématiquement repoussé les limites des techniques de simulation pour décrire de la manière la plus réaliste possible des matériaux et des catalyseurs d’importances industrielles. Des étapes importantes dans sa recherche ont été franchies grâce à l’obtention de bourses de recherche prestigieuses. En 2010, elle a obtenu une ERC Starting Grant suivie en 2015, d’une ERC Consolidator Grant. Elle a travaillé sur de nombreux matériaux et processus d’importance industrielle tels que la conversion du méthanol en oléfines, le développement de nanomatériaux pour des capteurs intelligents et le stockage.

Son travail a été récompensé par plusieurs prix, tels que celui de lauréat de l’Académie Royale Flamande des Sciences et des Arts de Belgique (2011), le prix de conférence MCEC du Centre néerlandais pour les conversions catalytiques multi-échelles d’énergie (2018) et le prix de l’innovation Dr. Karl Wamsler décerné par l’Université Technique de Munich et Clariant Specialty Chemicals en reconnaissance de l’excellence de ses recherches en matière de catalyse (2023).

Depuis le début de sa carrière , elle a supervisé de nombreux doctorants et chercheurs postdoctoraux qui ont à leur tour suivi des carrières réussies dans le monde académique et industriel. Veronique est convaincue que la collaboration au-delà des frontières des différentes disciplines scientifiques est la clé pour relever les défis les plus ambitieux et atteindre l’excellence scientifique.

Depuis 2013, Veronique Van Speybroeck est membre de l’Académie Royale Flamande des Sciences et des Arts de Belgique. Elle a une longue expérience professionnelle en évaluation de la recherche, en tant que membre de divers comités d’experts nationalement et internationalement.

Veronique Van Speybroeck est mariée et a deux fils.

 

Sa recherche

La recherche de Veronique Van Speybroeck se situe dans le domaine de la modélisation moléculaire et de son application aux systèmes d’importance industrielle. Dans cette discipline de recherche, on part de l’échelle atomique avec l’ambition d’appréhender les phénomènes macroscopiques. En comprenant ce qui se passe à l’échelle nanométrique, il est possible de concevoir des matériaux nanométriques pour la catalyse, la séparation et le stockage de gaz avec une précision atomique.

Le domaine de recherche de Veronique Van Speybroeck se situe à l’interface de la physique, de la chimie, de la science des matériaux et des sciences de l’ingénieur. Les phénomènes à l’échelle nanométrique – un nanomètre étant un millionième de millimètre – doivent être décrits avec des principes fondamentaux de la mécanique quantique. Cette théorie très fondamentale a provoqué une véritable révolution au début du XXe siècle en permettant notamment de de réaliser des percées majeures dans la compréhension fondamentale du comportement des matériaux. Son application aux molécules et aux matériaux a longtemps été impossible en raison de la complexité de ces systèmes problème. Paul Dirac l’a formulé en 1929 comme suit:

« The fundamental laws necessary for larger parts in physics
and the whole of chemistry are thus fully known,
and the difficulty lies only in the fact that the application of these laws
leads to equations that are too complex to be solved.”

Veronique a commencé sa recherche dans le domaine de la modélisation moléculaire à la fin des années 1990. En 1998, le prix Nobel de chimie a été décerné à Walter Kohn et John Pople pour le développement de la théorie de la fonctionnelle de la densité et des méthodes computationnelles en chimie quantique. Grâce au développement de moyens de calculs de plus en plus puissants, cela a inauguré une nouvelle ère à partir de laquelle des molécules et des matériaux réalistes pouvaient être modélisés et visualisés avec une grande précision.

Ses premières recherches ont porté sur l’étude des polymères et le craquage thermique, où elle a développé de nouveaux modèles pour décrire l’entropie des molécules flexibles. Elle a activement collaborer avec des groupes de recherche expérimentaux en chimie. Ce travail a conduit au développement de nouveaux logiciels qui sont aujourd’hui intégrés dans des codes open-source et largement utilisés dans le monde entier par les chercheurs en chimie computationnelle.

Après avoir obtenu son doctorat, elle a étendu son domaine d’expertise aux matériaux nanoporeux et à la catalyse hétérogène. Motivée par l’attrait des processus d’importance industrielle, elle s’est particulièrement intéressée aux réactions chimiques qui sont mises en jeu dans la conversion du méthanol en oléfines catalysée par des zéolithes. Les oléfines tels que l’éthylène et le propylène interviennent dans de nombreux matériaux et produits de notre vie quotidienne. Traditionnellement, ces composés chimiques sont produits à partir de pétrole brut, mais depuis quelques décennies, des recherches très actives sont menées pour considérer de nouvelles sources de matières premières obtenues à partir de déchets ou de biomasse. Lorsque Veronique Van Speybroeck a initié ces études en 2004, il y avait beaucoup de discussions sur la manière dont deux molécules de méthanol pouvaient former une nouvelle liaison carbone-carbone. La chimie responsable du processus de méthanol-oléfine constituait l’un des plus grands questionnements de la catalyse hétérogène. Avec plusieurs chercheurs talentueux du Centre de Modélisation Moléculaire, Veronique a réussi à démêler la chimie complexe qui est mise en jeu dans ce processus catalytique hétérogène. Jusqu’à ce jour, elle est considérée comme l’une des pionnières de la compréhension moléculaire du processus de conversion méthanol-oléfine. Elle a laissé une empreinte indéniable dans ce domaine de la catalyse.

L’originalité de ses travaux réside dans la recherche d’une représentation la plus pertinente des catalyseurs et d’une description la plus précise possible des réactions qui se produisent dans des environnements complexes. En menant la recherche en forte synergie avec les expérimentateurs, elle a acquis une très bonne compréhension de la complexité d’un processus catalytique industriel. Elle a réalisé que le fonctionnement d’un catalyseur tel qu’il se produit dans des conditions industrielles est fortement influencé par les conditions opérationnelles telles que la température, l’humidité et la pression. Pour prendre en compte l’ensemble de ces facteurs complexes, elle a introduit des techniques avancées de dynamique moléculaire dans le domaine des matériaux nanoporeux pour la catalyse, l’adsorption et la diffusion. Elle a pu ainsi acquérir une compréhension fondamentale de l’effet de l’eau sur le processus catalytique, ou bien encore de l’influence de certaines modifications apportées au catalyseur.

Récemment, ses recherches se sont consacrées au développement de nouvelles méthodes pour modéliser des matériaux présentant des défauts à différentes échelles de longueur. Malgré la grande révolution apportée par la théorie de la fonctionnelle de la densité dans le monde de la chimie computationnelle, cette méthode atteint aujourd’hui ses limites. Même avec les ordinateurs les plus puissants, les méthodes quantiques ne peuvent modéliser que quelques milliers d’atomes, ce qui correspond à quelques nanomètres. Ces dimensions sont fondamentalement trop petites pour décrire des particules de catalyseur réalistes. De plus, un matériau évolue considérablement au fil du temps après avoir subi plusieurs cycles catalytiques. Des techniques radicalement nouvelles sont nécessaires pour combler l’écart entre les échelle de temps et de longueur qui sont atteintes par la théorie et l’expérience. L’inspiration peut être trouvée dans le domaine de l’intelligence artificielle et de Machine Learning qui sont actuellement en fort essor dans différents domaines. Récemment, Veronique a développé de nouveaux potentiels à base de Machine Learning qui peuvent calculer beaucoup plus rapidement les interactions entre les particules dans les systèmes d’étude. La connaissance quantique du système reste essentielle car les réseaux neuronaux sont alimentés par des calculs très précis au niveau quantique.

Veronique est convaincue que de telles techniques conduiront à un changement de paradigme pour la modélisation des nanomatériaux dans les applications industrielles. Les premiers résultats de preuve de concept ont été récemment publiés dans les revues les plus prestigieuses. Avec ses recherches récentes, elle démontre une fois de plus que des résultats scientifiques à la pointe du progrès peuvent être obtenus à la frontière de différents domaines, à savoir la physique, la chimie et l’intelligence artificielle.

Au-delà du domaine de la catalyse, Véronique a également appliqué ses méthodes à une plus large famille d’applications notamment pour développer des matériaux pour la séparation, le stockage de gaz et les capteurs.

 

Rapport du jury (23 avril 2024)

Prof. Veronique Van Speybroeck from the Center for Molecular Modeling of the University of Ghent is the recipient of the 2024 Francqui prize in Exact Sciences for her pioneering work on computational modeling of catalytic processes in nanoporous materials.

Prof. Van Speybroeck has established herself as a worldwide leader in modeling nanoporous materials for catalysis under realistic operating conditions. Catalysis is the basis for most chemical transformations in industry and is key to solving the challenges of developing a sustainable green chemical and energy industry. Nanoporous materials are characterized by allowing molecules to enter into the material through nanometer size holes. They are common catalysts, and providing an understanding of the chemical processes that take place inside these materials through quantum chemical simulations is key to designing new, more efficient catalysts.

Prof. Van Speybroeck started in the field of Molecular Modeling in the late nineties. She has systematically pushed the limits of simulation techniques to model as closely as possible realistic materials and processes at operating conditions. Her new methods were developed to calculate accurate chemical kinetics for reactions taking place in nanoporous materials by including the dynamics of the catalyst and the molecular fragments in the simulations. She pioneered the simulation of complex catalytic conversions at operating conditions, using enhanced sampling molecular dynamics simulations capturing the full complexity of the free energy surface.  She became strongly convinced that simulations had to account for true operating conditions such as realistic temperatures, pressures, feeds. Currently, she is exploring methods to simulate materials with the inclusion of spatial heterogeneities, as the behavior of realistic materials may be strongly affected by crystal size, morphology and the presence of defects. To this end she is currently developing Machine Learning Potentials that are able to capture the quantum behavior of materials at a much lower computational cost. An important aspect of her work is a close coupling between theory and experiment.

Apart from her own research, Prof. Van Speybroeck has inspired many young researchers to work in the field of molecular modeling and has been an outstanding ambassador for science in society. She co-founded the Center for Molecular Modeling, which has now grown to a multidisciplinary research Center including about 40 scientists with molecular modeling interests. The research is performed with a multidisciplinary group of scientists, having backgrounds in physics, chemistry, (bio-)engineering and materials science. Prof. Van Speybroeck believes in collaborations among researchers across disciplines and strongly stimulates such an open vision as key to achieving scientific excellence.

 

Membres du jury international

 

Professor Ben L. Feringa
Jacobus van ’t Hoff Distinguished Professor of Molecular Sciences,
Stratingh Institute for Chemistry
Head of Unit Synthetic Organic Chemistry, University of Groningen
Fellow of the Royal Society
International Member of the (US) National Academy of Sciences
Nobel Prize Chemistry 2016
Groningen, The Netherlands

 – Président du jury

et

Professor Roger Blandford
Luke Blossom Professor in the School of Humanities and Sciences, Stanford University
Fellow of the Royal Society Member of the US National Academy of Sciences
Stanford, USA

Professor Geert-Jan Boons
UGA Foundation Distinguished Professor in Biochemical Sciences, The University of Georgia
Georgia, USA
Professor, Chemical Biology and Drug Development, Utrecht University
Utrecht, The Netherlands

Professor Paul Bourgade
Professor of Mathematics, NYU Courant Institute of Mathematical Sciences
New York, USA

Professor Marileen Dogterom
Professor of Bionanoscience, Kavli Institute of Nanoscience Delft, Delft University of Technology
Delft, The Netherlands
President of the Royal Netherlands Academy of Arts and Sciences
Amsterdam, The Netherlands

Professor Heino Falcke
Professor of Astrophysics, Radboud Universiteit
Nijmegen, The Netherlands

Professor Thomas Henning
Director and Scientific Member, Max Planck Institute for Astronomy
Heidelberg, Germany

Professor Koen Kuijken
Professor of Galactic Astronomy, Leiden Observatory
Leiden, The Netherlands

Professor Enno Mammen
Professor of Mathematical Statistics, Institute for Mathematics, Heidelberg University
Heidelberg, Germany

Professor Onur Mutlu
Professor of Computer Science, ETH Zurich
Zürich, Switzerland
Visiting Professor of Electrical Engineering, Stanford University
Stanford, USA
Adjunct Professor of Electrical and Computer Engineering, Carnegie
Mellon University
Pittsburgh, USA
Adjunct Professor of Computer Engineering, Bilkent University
Ankara, Turkey

Professor Jens Nørskov
Villum Kann Rasmussen Professor, Technical University of Denmark
International Member of the (US) National Academy of Engineering
Lyngby, Denmark

Professor Elisabeth Oswald
Professor and Head of Division of Cybersecurity, University of Klagenfurt
Klagenfurt, Austria
Professor of Applied Cryptography, School of Computer Science, University of Birmingham
Birmingham, UK

Professor John Peacock
Professor of Cosmology, Institute for Astronomy, Royal Observatory Edinburgh, University of Edinburgh
Fellow of the Royal Society
Edinburgh, UK

Professor Marten Scheffer
Distinguished Professor, Wageningen University
Co-founder of the South American Institute for Resilience and Sustainability Studies
International Member of the (US) National Academy of Sciences
Wageningen, The Netherlands

Professor Peter Zoller
Professor Emeritus of Theoretical Physics, University of Innsbruck
Scientific Director Emeritus, Institute for Quantum Optics and
Quantum Information (IQOQI) of the Austrian Academy of Sciences
International Member of the (US) National Academy of Sciences
Innsbruck, Austria

 

 – Membres du jury