1981 – Rapport Jury André Trouet

 

Remise solennelle du Prix Francqui
par Sa Majesté Le Roi Baudouin
à la Fondation Universitaire le
17 juin 1981

Curriculum Vitae – Rapport du Jury – Discours

Curriculum Vitae

Né à Hal le 3 janvier 1936

Diplômes Universitaires :

Docteur en Médecine, Université Catholique de Louvain, 1961
Agrégé de l’Enseignement Supérieur, Université Catholique de Louvain, 1970

Fonctions :

Professeur à l’Université Catholique de Louvain depuis 1974.

Curriculum vitae :

Stagiaire du Fonds National de la Recherche Scientifique, 1951-1963
Aspirant du Fonds National de la Recherche Scientifique, 1963-1965
Chargé de Recherches du Fonds National de la Recherche Scientifique, 1965-1969
Research associate à la Rockefeller University, New York, USA, 1967-1986
Chercheur qualifié du Fonds National de la Recherche Scientifique, 1969-1973
Lauréat du Prix Rik and Nel Wouters, 1973
Chercheur principal à l’International Institute of Cellular and Molecular Pathology, à Bruxelles, depuis 1974
Lauréat du Prix G. Tytgat, 1974

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Rapport du Jury (25 avril 1981)

Considérant l’originalité des idées de recherche, des méthodes mises en oeuvre, ainsi que l’importance des résultats obtenus,

considérant les conséquences de ses travaux pour une meilleure compréhension des fonctions cellulaires,

considérant les applications thérapeutiques et les retentissements pratiques notamment dans le domaine de la lutte contre les cellules cancéreuses et contre certaines cellules parasitaires,

considérant enfin l’intérêt que ses travaux ont suscité dans les milieux scientifiques internationaux,

décide d’attribuer le Prix Francqui 1981 à Monsieur André TROUET, Professeur à l’Université Catholique de Louvain.

Jury international dans lequel siégeaient :

Le Professeur Ulf Svante von Euler
Emeritus Professor at the Karolinska Institutet
Fysiologiska Institutionen
Stockholm – Sweden
                                                                 Président

et

Le Professeur Heinz Bauer
Professor an der Justus-Liebig-Universität
Institut für Virologie, Fachbereich Humanmedizin
Giessen – Germany

Le Professeur Otto Dann
Professor an der Institut Pharmazie und Lebensmittelchemie
der Friedrich-Alexander-Universität
Lerstuhl für Angewandte Chemie
Erlangen – Germany

Le Professeur Karl Decker
Professor am Biochemischen Institut der Albert-Ludwigs-Universität
Freiburg – Germany

Le Professeur Dirk Durrer
Professor aan de Universiteit van Amsterdam
Afdeling Cardiologie en klinische Physiologie
Hoogleraar Interuniversitair Cardiologische Instituut
Amsterdam – The Netherlands

Le Professeur Ansley Iggo
Professor at the University of Edingburgh
Dept. pf Veterinary Physiology
Edingburgh – UK

Le Professeur Charles Marx
Professeur à l’Université Louis Pasteur
Institut de Physiologie – Faculté de Médecine
Strasbourg – France

Le Professeur Jacques Nunez
Directeur de l’Unité de Recherche sur la Glande Thyroïde
et la Régulation Hormonale – INSERM
Bicêtre – France

Le Professeur Jacques Oudin
Professeur honoraire à l’Institut Pasteur
Paris – France

Le Professeur Rodolfo Paoletti
Professeur à l’Université de Milan
Institut de Pharmacologie
Milano – Italy

Le Professeur Edward Charles Slater
Professor aan de Universiteit van Amsterdam
Laboratory of Biochemistry
Amsterdam – The Netherlands

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Discours du Baron van der Meulen
Président de la Fondation Francqui

Sire,

La Fondation Francqui est fière d’être l’Institution privilégiée de la Dynastie puisqu’elle a eu l’insigne honneur de voir le Roi Albert Ier, Le Roi Léopold III et notre Roi, rendre hommage à la science belge en remettant, par quarante-huit fois déjà, le Prix Francqui à nos chercheurs.

Votre Majesté a rehaussé de Sa présence trente cérémonies de remise de notre Prix et nous tenons à Vous dire toute notre reconnaissance pour la royale courtoisie avec laquelle Vous avez daigné décerner à chaque Lauréat la plus haute distinction scientifique de notre pays.

Cette année-ci encore, tous les Membres du Jury – représentés ce jour par M. DURRER – n’ont pas manqué de nous faire part de leur fierté d’avoir eu à siéger au sein d’un Collège dont la décision finale se verra entérinée par le Souverain du pays qui les a accueillis.

A notre tour, nous remercions ces éminentes personnalités pour l’aide qu’elles ont apportée à notre Institution.

Onze Beheerraad heeft tijdens zijn zitting van 28 april 1981 de Francqui-Prijs 1981 toegekend aan de Heer André TROUET.  Hij is Professor aan de Université Catholique de Louvain en heeft zich onderscheiden op het gebied van de Natuurkundige en de Medische Wetenschappen.

Notre Conseil d’Administration, en séance du 28 avril 1981, a conféré le Prix Francqui 1981 à M. André TROUET, Professeur à l’Université Catholique de Louvain, qui s’est distingué dans le domaine des Sciences Naturelles et Médicales.

En prenant cette décision, le Conseil à fait siennes la proposition d’un Jury international dans lequel siègeaient : MM. BAUER, DANN, DECKER, DURRER, IGGO, MARX, NUNEZ, OUDIN, PAOLETTI, SLATER et von EULER, Professeurs d’Universités Allemandes, Britanniques, Françaises, Néerlandaises et Suédoises, et M. Marcel GROSJEAN, en qualité de Secrétaire du Jury.

Né le 3 janvier 1936, M. TROUET a fait ses études à l’Université Catholique de Louvain.

Docteur en Médecine en 1961, il fut agrégé de l’Enseignement Supérieur en 1970.

De 1961 à 1974, il fut successivement stagiaire, aspirant, chargé de recherche puis chercheur qualifié du Fonds National de la Recherche Scientifique.

Depuis 1963, il est chercheur au Laboratoire de Chimie Physiologique de l’Université Catholique de Louvain où il fut promu professeur en 1974.

Le Jury a notamment pris en considération l’originalité des idées de recherche, des méthodes mises en oeuvre, ainsi que l’importance des résultats obtenus par le Professeur TROUET.

Les conséquences de ses travaux pour une meilleure compréhension des fonctions cellulaires, les applications thérapeutiques et les retentissements pratiques – notamment dans le domaine de la lutte contre les cellules cancéreuses et contre certaines cellules parasitaires – ont suscité l’intérêt des milieux scientifiques internationaux .

Au nom de la Fondation Francqui, j’adresse au Lauréat nos plus vives félicitations.

Qu’il plaise au Roi de consacrer la désignation de M. TROUET comme Lauréat du Prix Francqui 1981 en lui remettant le diplôme de notre Institution.

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Discours du Professeur André Trouet

Sire,

Au moment où j’ai l’honneur et le privilège de recevoir le Prix Francqui des mains du Roi, les sentiments qui m’envahissent sont dominés par la reconnaissance car la présence de Votre Majesté témoigne une fois de plus de l’intérêt qu’Elle porte aux sciences et à la recherche scientifique, ainsi qu’aux progrès et aux services que notre pays et l’humanité sont en droit d’en attendre.

A cette reconnaissance se mêle une joie profonde, à laquelle viendrait se joindre la fierté, si celle-ci n’était ramenée à des proportions très modestes par la conviction profonde que la providence, qui m’a permis d’être ici aujourd’hui, m’a grandement favorisé par des dons reçus sans mérite et par la chance d’avoir pu les épanouir au contact de maîtres, tel le Professeur de Duve, avec l’aide de collaborateurs aussi dévoués que compétents parmi lesquels je me permettrai de citer Danièle Deprez-De Campeneere, Yves-Jacques Schneider et Paul Tulkens.  C’est à eux tous autant qu’à moi que s’adressent sans aucun doute l’intérêt et la sollicitude de Votre Majesté.

Sire,
Monsieur le Président,
Mesdames,
Messieurs,

La cellule, unité élémentaire et fondamentale de tout être vivant, porte en elle la clef qui permet d’approcher, à défaut de déjà pouvoir comprendre, les bases physico-chimiques de la vie à tous ses niveaux de développement, depuis les êtres unicellulaires, telles les bactéries, jusqu’aux assemblages multicellulaires aux potentialités spirituelles, morales et artistiques que sont les hommes.

La cellule est délimitée par une enveloppe extérieure appelée la membrane plasmique, qui est traversée par des substances nutritives dont la cellule a besoin et avec laquelle réagissent des signaux et des constituants provenant du milieu extracellulaire.  L’un des principaux constituants cellulaires est le noyau, composé en majeure partie d’acide désoxyribonucléique, qui conserve et transmet toutes les informations nécessaires à la vie et à la multiplication de la cellule.  Le noyau est entouré par le cytoplasme qui contient tout l’équipement nécessaire à l’exécution des ordres venant du noyau.  Ainsi les mitochondries sont responsables de la production d’une grande partie de l’énergie de la cellule, tandis que le réticulum endoplasmique et le corps de Golgi assurent la synthèse et le transfert éventuel vers l’extérieur de la cellule de protéines telles les enzymes et certaines hormones.  Découverts et décrits pour la première fois durant les années cinquante par le Professeur de Duve et ses collaborateurs, les lysosomes sont des vésicules cytoplasmiques délimitées par une membrane et qui contiennent un grand nombre d’enzymes digestifs baignant dans un milieu acide.  Les lysosomes jouent un rôle très important dans l’endocytose qui est le processus par lequel la cellule capte des constituants du milieu extracellulaire qui sont incapables de traverser la membrane péricellulaire.  Au cours d’une première étape les substances endocytées s’attachent à la surface cellulaire et cette fixation fait souvent appel à des récepteurs membranaires dont la sélectivité peut varier d’une type de cellule à l’autre et peut être modifiée dans divers états pathologiques.  Au cours d’une seconde étape, la membrane plasmique s’invagine et se referme sur les composants endocytés donnant ainsi naissance à une vésicule fermée.  Cette vésicule migre ensuite dans le cytoplasme pour fusionner avec les lysosomes sont les enzymes, dans la plupart des cas, digèrent la proie endocytée.

En faisant appel conjointement aux techniques de fractionnement cellulaire et aux méthodes de l’immunologie, nous avons pu montrer que la membrane de la vésicule d’endocytose, formée par invagination de la membrane plasmique, n’est pas comme on le supposait, incorporée dans la membrane des lysosomes, mais s’en dissocie après un bref contact et retourne à la membrane plasmique.  Il ressort, en outre, de ces données et des résultats obtenus dans d’autres laboratoires que les lysosomes ne constituent pas uniquement, comme on le croyait encore récemment, le tube digestif des cellules, mais exercent une très importante fonction de triage et de régulation tant ce qui concerne les membranes cytoplasmiques que les substances endocytées.  C’est ainsi que nous avons pu, récemment, apporter des indications nouvelles concernant le rôle joué par les lysosomes dans le mécanisme de capture du fer ainsi que dans le processus par lequel des anticorps sont transférés par le foie, de la circulation sanguine à la bile.

Nous avons essayé assez rapidement d’appliquer les techniques et les connaissances de la biologie cellulaire à une recherche plus appliquée, dans le but d’améliorer les moyens thérapeutiques disponibles dans la lutte contre le cancer, les infections et les maladies tropicales.

La pharmacologie qui étudie les mécanismes d’action des médicaments et la pharmacocinétique qui détermine les paramètres selon lesquels les substances thérapeutiques se distribuent dans l’organisme constituent les disciplines de base permettant de comprendre le mode d’action d’un médicament et de mettre au point de nouveaux dérivés plus efficaces.  Si la pharmacologie s’est surtout adressée jusqu’à présent aux aspects biochimiques et moléculaires et si la pharmacocinétique s’est essentiellement limitée aux niveaux des organes et des tissus, nous sommes convaincus qu’une nouvelle dimension au niveau de la cellule doit venir enrichir ces deux disciplines.  Il deviendra alors possible de saisir dans leur intégralité, les relations qui relient la structure chimique d’un médicament à son effet sur la maladie et le malade.  Grâce à l’utilisation combinée des cellules en culture et du fractionnement cellulaire, nous avons abordé ce nouveau domaine en étudiant la pharmacocinétique cellulaire d’antibiotiques, telle la streptomycine et de médicaments anticancéreux telle la daunorubicine.

Depuis le début du siècle, médecins et chercheurs essaient de trouver le médicament idéal qui pemettrait de guérir le cancer de la même façon que les antibiotiques triomphent des infections.  Ce médicament n’a malheureusement pas encore été découvert et ce que l’on sait des très faibles différences biochimiques qui séparent les cellules normales et cancéreuses, rend sa découverte très peu probable si on continue de tabler uniquement sur le hasard des synthèses chimiques et des extractions de substances naturelles.

Des progrès importants dans ce domaine pourraient cependant résulter des enseignements de la biologie cellulaire.  L’efficacité des médicaments anticancéreux est, en effet, limitée par leur manque de sélectivité lié au faut qu’ils s’attaquent presqu’autant aux cellules cancéreuse qu’aux cellules normales, ce qui les rend donc très toxiques.  Le traitement chimiothérapique du cancer est actuellement une navigation extrêmement prudente et difficile vers l’éradication des cellules cancéreuses tout en évitant les multiples écueils d’une toxicité omniprésente.  La sélectivité des médicaments anticancéreux pourrait cependant être accrue en associant ceux-ci à des transporteurs qui reconnaitraient des récepteurs spécifiques qui semblent exister à la surface des cellules tumorales.  Après administration au malade, le complexe formé par le transporteur et le médicament se fixerait préférentiellement sur les cellules cibles.  Ce complexe serait ensuite endocyté et après digestion du transporteur par les enzymes lysosomiales, le médicament serait libéré et activé à l’intérieur même de la cellule cancéreuse. 

Il y a cependant un long chemin entre l’énoncé de la théorie et son application au bénéfice des malades.  Ce long chemin nous l’avons entamé, il y a une dizaine d’années, et il avait la forme d’un petit sentier dont nous ne savions guère s’il allait nous mener vers une large route conduisant au but ou s’il allait nous égarer dans des bourssailles inextricables.  Nous avons d’abord, d’une manière plutôt artisanale, associé à de l’acide désoxyribonucléique, la daunorubicine et la doxorubicine, substances anticancéreuses très actives mais très toxiques.  Des résultats expérimentaux très intéressants nous ont rapidement fait entrevoir que, même si l’acide désoxyribonucléique n’est pas un transporteur idéal, notre voyage ne s’arrêterait pas de sitôt, et cela d’autant plus que des essais cliniques effectués avec ces complexes indiquent que pour une activité anticancéreuse équivalente, la toxicité de la daunorubicine et de la doxorubicine peut être très nettement réduite, surtout au niveau du coeur.

Nous avons, depuis, développé une méthode de couplage chimique qui nous permet de lier d’une manière plus adéquate la daunorubicine et la doxorubicine à une grande variété de transporteurs tels que des anticorps, des hormones peptidiques ou des glycoprotéines.  Les premiers résultats expérimentaux obtenus avec cette nouvelle technique nous montrent cette fois que nous avons quitté le sentier et abordons une route qui pourrait peut-être nous mener au but, au cours d’un voyage encore long et parsemé d’obstacles.  Nous devons, en particulier, rechercher d’une manière systématique pour chaque type de cancer, quels transporteurs sont susceptibles de réagir sélectivement avec les cellules cibles et d’être endocytés par elles. 

Nous avons, par ailleurs, entrepris des recherches parallèles afin de mettre au point, selon le même principe, des médicaments plus efficaces et plus sélectifs dans le traitement des maladies souvent négligées mais combien graves et fréquentes, que sont les maladies tropicales à protozoaires, telles la malaria et la maladie de Chagas.

Ces recherches intégrant l’approche fondamentale et appliquée ne sont rendues possibles que par le travail d’une équipe dans laquelle se retrouvent coude à coude médecins, chimistes, pharmaciens et biologistes, soutenus par des moyens humains, techniques et financiers importants.

Nous avons pu bénéficier de ces moyens grâce à l’Université Catholique de Louvain, aux Fonds Nationaux de la Recherche Scientifique et médicales, aux Services de Programmation de la Politique Scientifique à l’Institut pour l’Encouragement de la Recherche Scientifique dans l’Industrie et l’Agriculture, à la Caisse Générale d’Epargne et de Retraite ainsi que grâce à l’Organisation Mondiale de la Santé et à l’Industrie Pharmaceutique.

Réunir des équipes multidisciplinaires s’attelant côte à côte à la recherche fondamentale et à la recherche appliquée à la médecine, en utilisant les découvertes et développements technologiques les plus récents, telle est la vocation de l’Institut de Pathologie Cellulaire à Louvain-en-Woluwé dans lequel j’ai le grand privilège et la chance de pouvoir travailler.  Cet Institut nous le devons à l’initiative et à la volonté tenace du Professeur de Duve qui a pu l’ériger grâce à la clairvoyance et l’esprit d’entreprise des autorités académiques de l’Université Catholique de Louvain.  Il a trouvé son noyau initial de chercheurs au sein de la Faculté de Médecine de cette même Université et des chercheurs d’autres Universités, belges et étrangères, sont progressivement venus enrichir cette équipe de départ.

Le souci constant et permanent de collaboration scientifique à l’intérieur et à l’extérieur de l’Institut, de notre Université et de notre pays, sera le meilleur garant de nos efforts en vue de répondre aux questions et aux exigences que notre société pose aux chercheurs et à la recherche scientifique.  Nous pensons que la meilleure réponse sera d’essayer d’appliquer dès aujourd’hui les recherches fondamentales d’hier et surtout de préparer les applications de demain par la recherche fondamentale d’aujourd’hui.

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