1990 – Rapport Jury Thierry Boon


R
emise solennelle du Prix Francqui
par Sa Majesté Le Roi Baudouin
à la Fondation Universitaire le 19 juin 1990

Curriculum Vitae – Rapport du Jury – Discours

Thierry Boon

Curriculum Vitae

Né à Kessel-lo, le 3 décembre 1944

Diplômes universitaires :

Candidature en Sciences Naturelles et Médicales, Université Catholique de Louvain (1965)
Doctorat (Ph.D.) en Philosophie, Rockefeller University, New York (1970)

Fonctions académiques :

Professeur extraordinaire à l’Université Catholique de Louvain (1988)
Directeur du Ludwig Institute for Cancer Research, Bruxelles (1978)

Curriculum vitae :

Research associate, Rockefeller University, New York (1970-1971)
Chargé de recherche, Centre National de la Recherche Scientifique (1971-1975)
Chargé de cours, Université Catholique de Louvain (1975-1981)
Professeur, Université Catholique de Louvain (1981-1987)
Professeur ordinaire, Université Catholique de Louvain (1987-1988)

Prix :

de Vooght Prize in Immunology, 1986
Rik and Nel Wouters Prize for Cancer Research, 1986
Cancer Research Institute, Award for Research in Immunology, 1987

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Rapport du Jury (21 avril 1990)

Considérant que Thierry BOON a découvert une catégorie d’antigènes tumoraux et précisé leur nature;

considérant que ce travail à ouvert une voie tout à fait nouvelle permettant l’identification de peptides antigéniques qui jouent un rôle central dans la réponse immunitaires en cellules T cytotoxiques dans les cas de cancer;

considérant que ce travail a probablement des implications importantes dans d’autres processus pathologiques ou non;

décide d’attribuer le Prix Francqui 1990 à Monsieur Thierry BOON, Professeur à l’Université Catholique de Louvain.

Jury international dans lequel siégeaient :

Le Professeur Herman EISEN
Professor at the Massachusetts Institute of Technology
Center for Cancer Research
Cambrigde – USA
                                                    Président

et

Le Professeur Glenn RUNE BJORK
Professor at the University of Umea
Sweden

Le Professeur Klaus-Peter HOFFMANN
Professor at the Ruhr Universität Bochum
Germany

Le Professeur Maurice HOFNUNG
Professeur à l’Institut Pasteur
Directeur de Recherches au C.N.R.S.
Paris – France

Le Professeur Salomon Z. LANGER
Directeur du Département de Biologie
Synthelabo Recherche (L.E.R.S.)
Paris – France

Le Professeur Walter PLOWRIGHT
Latterly Head, Dept. of Microbiology
AFRC, Research Institute
Compton, Berks – UK

Le Professeur Hans-Alfred ROSENTHAL
Emeritus Professor an der Humbold-Universität zu Berlin
Germany

Le Professeur Jean ROSSIER
Directeur de Recherche INSERM
Paris – France

Le Professeur Roberto STROM
Professor at the University of Rom « La Sapienza »
Italy

Le Professeur Keith SYKES
Nuffield Professor of Anesthetics
University of Oxford
UK

Le Professeur Andrée TIXIER-VIDAL
Directeur de Recherches C.N.R.S.
Directeur de l’U.R.A.
Collège de France, C.N.R.S.
Paris – France

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Discours du Baron Jacques Groothaert
Président de la Fondation Francqui

Sire,

Sedert vele jaren steunt het Francqui-Fonds het wetenschappelijk onderzoek in ons land.  Steeds mocht het hierbij rekenen op de persoonlijke belangstelling en aanmoediging van de Koning, en zijn wij een te meer dankbaar voor zijn aanwezigheid bij de plechtige uitreiking van de Francqui-Prijs voor 1990.

Mijn voorgangers en ik, zowel als onze laureaten, hebben herhaaldelijk het essentieel belang onderstreept van de wetenschappelijke vorming voor onze maatschappij en hun toekomst, en ook aan de bekommernis uiting gegeven ten overstaan van het groeiend gebrek aan financiële middelen waaronder onze universitaire inrichtingen lijden.

Nous avons pour devoir de répéter ce cri d’alarme, de mettre en garde les responsables, de plaider pour moins de dispersion des compétences, pour plus de concertation et de cohérence dans un domaine aussi vital que celui de la recherche scientifique, de l’enseignement et de la formation.

Nous devons tout mettre en oeuvre pour éviter et contrecarrer la « fuite des cerveaux » en un moment crucial de l’évolution de nos sociétés où, plus que jamais, la matière première la plus importante est la matière grise.

Les résultats remarquables obtenus par nos savants et nos chercheurs, dans des conditions souvent ingrates, nous sont motif de fierté et de confiance.

Une nouvelle fois, le jury international du Prix Francqui a pu couronner une oeuvre particulièrement méritante en octroyant le Prix 1990 au Professeur Thierry Boon, de l’Université Catholique de Louvain.

Il a voté l’attribution de ce prix pour la découverte, par le Professeur Boon, d’une catégorie d’antigènes tumoraux dont il a précisé la nature.

Dit werk opent een heel nieuwe weg die de identificatie toelaat van antigen peptiden welke een centrale rol spelen bij de immunitaire reactie van T. cytotoxishe cellen bij kanker gevallen.  Het zal dan ook belangrijke gevolgen hebben bij ander al dan niet pathologische ziektebelopen.

Né le 3 décembre 1944, Mr Thierry BOON a fait ses études à l’Université Catholique de Louvain.  Il a botenu un doctorat de Philosophie (Ph.D.) à la Rockeffeller University, New York, en 1970 où il a été chercheur associé de 1970 à 1971.

Chargé de recherche au C.N.R.S. de l’Institut Pasteur à Paris (1971-1975), il fut successivement chargé de cours (1975-1981), Professeur (1981-1987), Professeur ordinaire (1987-1988), puis Professeur extraordinaire à l’Université Catholique de Louvain.  En 1976 il prit la direction de l’Unité de Génétique cellulaire à l’I.C.P.

Lauréat de plusieurs prix scientifiques et Membre de sociétés scientifiques, il est également Directeur du Ludwig Institute for Cancer Research, Brussels Branch, depuis 1978.

Nous lui adressons nos plus vives félicitations.

Qu’il plaise au Roi de consacrer la désignation du Professeur Thierry Boon comme lauréat du Prix Francqui 1990 en lui remettant le diplôme de notre Institution.

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Discours du Professeur Thierry Boon

Sire,

Je tiens à vous exprimer toute ma gratitude pour le très grand honneur que vous me faites en me remettant le prix Francqui.  Les chercheurs belges sont conscients depuis longtemps que dans les difficultés nombreuses qu’ils rencontrent au cours de l’exercice de leur métier, ils bénéficient de la sollicitude attentive et constante de leurs Souverains.  Je crois parler en leur nom en vous faisant part de notre profonde reconnaissance.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

Les immunologistes savent depuis toujours que le système immunitaire défend notre organisme contre les agents infectieux, tels que bactéries et virus, en reconnaissant à leur surface certains motifs moléculaires appelés antigènes.  Mais le système immunitaire veille-t-il également à l’intégrité de notre organisme en décelant et en éliminant les cellules devenues anormales et dangereuses à la suite de modifications internes, telles que des mutations affectant leur patrimoine génétique ?  Cette question que l’on a appelé l’hypothèse de la surveillance immunitaire est très controversée depuis près d’un siècle.  Elle présente un intérêt tout particulier pour le cancer puisqu’il semble bien que de très nombreux cancers aient une base génétique.

Notre entrée dans ce domaine s’est faite, comme souvent en recherche expérimentale, de manière purement fortuite.  Nous voulions étudier la différenciation cellulaire de tumeurs de souris.  Pour aborder ce problème sous l’angle génétique, nous avons introduit des mutations au hasard dans des cellules tumorales.  Nous nous sommes alors aperçus que beaucoup de ces cellules étaient devenues incapables de produire des tumeurs.  Ces cellules variantes, que nous avons appelées tum-, sont obtenues à des fréquences extrêmement élevées en mutagénisant n’importe quelle lignée tumorale de souris.  Si elles ne produisent pas de tumeurs, c’est parce qu’elles font l’objet d’une très forte réaction de rejet immunitaire, parce que les variants tum- expriment une très grande diversité de nouveaux antigènes qui sont reconnus par les lymphocytes T.

Pour comprendre ce phénomène , il nous fallait identifier la nature de ces antigènes ou des gènes responsables de leur expression.  Nous avons développé une méthode permettant d’isoler directement les gènes qui produisent des antigènes reconnus par les lymphocytes T.  Ainsi, nous sommes arrivés à la conclusion que les antigènes tum- ne sont pas produits par une famille de gènes spécialisés et hypervariables, mais bien par un grand nombre de gènes différents qui n’ont aucune similitude apparente.  Tous les gènes identifiés portent en un endroit précis une mutation qui altère la protéine produite.

Nous concluons de tout ceci que des mutations survenant dans de très nombreux gènes, peut-être même dans tous nos gènes, produisent fréquemment de nouveaux antigènes qui sont reconnus par les lymphocytes T et sont dès lors susceptibles de provoquer l’élimination des cellules qui les portent.  La surveillance immunitaire de l’intégrité du génome cellulaire par les lymphocytes T n’est donc plus une hypothèse mais une réalité expérimentale.

C’est ici que nos recherches ont rejoint un courant de progrès récents qui ont permis de comprendre comment les antigènes sont reconnus par les lymphocytes T.  Les immunologistes pensaient, jusqu’il y a peu, que les cellules T ne pouvaient reconnaître au moyen de leur récepteur spécifique que des molécules faisant partie de la membrane externe de la cellule cible.  Ils ont fini par s’apercevoir avec étonnement qu’il n’en était rien.  Lorsque des cellules sont infectées, par exemple par le virus de la grippe, le génome viral produit une protéine qui va se localiser dans le noyau cellulaire.  Or il s’est avéré qu’un antigène appartenant à cette nucléoprotéine est reconnu par des lymphocytes T, qui détruisent la cellule infectée.  Ceci est possible parce que des petits fragments de ces protéines, des petits peptides, se combinent dans la cellule à des molécules très spécialisées que l’on appelle molécules d’histocompatibilité.  Il y a dans ces molécules une fente très particulière dans laquelle un petit peptide antigénique peut venir se loger et ce complexe est alors exporté à la surface de la cellule où il peut être reconnu par le récepteur des lymphocytes T.  Nos mutations tum- ont pour résultat de produire de nouveaux peptides capables de se lier aux molécules d’histocompatibilités pour constituer des antigènes reconnus par les lymphocytes T.

Tout ceci suggère que la surveillance immunitaire est capable de scruter l’entièreté du régistre de nos protéines et qu’à côté des examinateurs attentifs que sont les lymphocytes T il y a des patients de bonne volonté ; ce sont nos cellules qui ont élaboré un système perfectionné qui leur permet de se faire ausculter très complètement.

Mais revenons aux cellules concéreuses.  Ces cellules expriment-elles des antigènes reconnus par les lymphocytes T et, dans l’affirmative, pourquoi échappent-elles souvent au système immunitaire ? On sait depuis quarante ans que les tumeurs expérimentales induites avec de hautes doses d’agents carcinogènes portent des antigènes capables de déclencher une réaction de rejet.  C’est beaucoup plus récemment que l’on a pris conscience que par contre, les tumeurs spontanées ne provoquent aucune réponse.  Mais ici également, les variants tum- ont apporté leur contribution.  En effet, nous avons observé que des variants obtenus à partir de tumeurs spontanées, induisent une réponse immunitaire qui est dirigée également contre la tumeur initiale.  On arrive dès lors à la conclusion que toutes les tumeurs de souris expriment au moins un antigène de rejet, mais qu’à lui seul cet antigène est souvent incapable de déclencher une réponse.  L’addition d’antigènes tum- sur la même cellule permet d’attirer vers cette cellule l’attention du système immunitaire et de produire ainsi une réponse dirigée également contre le premier antigène.  Peut-être le système immunitaire est-il constitué avec un tel degré de coopérativité qu’il pardonne une, voire deux, erreurs mais réagit puissament lorsqu’il décèle un plus grand nombre d’anomalies sur la même cellule.  Il évite ainsi d’éliminer trop de nos cellules qui acquièrent des mutations en vieillissant.  Cette indulgence devient malheureusement coupable lorsqu’elle s’applique à des cellules cancéreuses.

Nous avons entrepris de vois si les principes que je viens de vous décrire peuvent être employés pour susciter auprès de malades atteints du cancer une réponse immunitaire contre leurs cellules malignes.  Nous procédons avec beaucoup de prudence et il est encore trop tôt pour que nous puissions conclure.  Je crois cependant qu’il est permis d’espérer que, combinée à d’autres progrès récents, cette voie nous permette un jour de disposer d’une immunothérapie efficace du cancer, qui aurait l’immense avantage d’être très peu traumatisante pour le malade.

Sire, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

Un chercheur en pleine activité passe peu de temps à se demander à quelles personnes et à quelles circonstances il doit de pourvoir faire un travail convenable.  Et ce n’est pas la moindre utilité d’un prix comme le Prix Francqui que de l’amener à réaliser tout ce qu’il doit à d’autres.  Je tiens à saluer mes collaborateurs qui ont montré au cours de recherches toujours ardues et parfois décourageantes de très grandes qualités scientifique et morales.  Je tiens à rendre ici un hommage tout particulier à Aline Van Pel qui a joué depuis le début un rôle essentiel dans le progès de nos recherches.

Je désire également remercier du fond du coeur Monsieur Christian de Duve.  J’ai eu la chance extraordinaire de pouvoir profiter de ses conseils avant même mon entrée à l’Université.  Plus tard, grâce à lui, j’ai pu faire un doctorat à l’Université Rockefeller à New York sous la remarquable direction du Professeur Norton Zinder.  Après une dizaine d’années passées à l’étranger, j’ai pu réintégrer la Belgique grâce à l’Institut de Pathologie Cellulaire et Moléculaire, l’ICP, que Christian de Duve avait fondé entre temps pour mon plus grand bonheur et celui de bien d’autres chercheurs.  Quel exemple, que de voir un chercheur qui a tout réussi, se dépenser sans relâche pour que les jeunes qui désirent prendre le relais du progrès scientifique puissent à leur tour trouver les conditions du succès.

Mon laboratoire a pu être créé il y a quinze ans grâce à un crédit important du Fonds Cancérologique de la Caisse Générale d’Epargne et de Retraite.  Je tiens à saluer ici le soutien important, intelligent et surtout constant que cet organisme accorde depuis vingt ans à la recherche cancérologique belge.  Trois ans plus tard, l’Institut Ludwig pour la Recherche sur le Cancer, fondé sur un don colossal de Monsieur Daniel Ludwig, a décidé de financer complèment les recherches de mon laboratoire.  Je ne remercierai jamais assez l’Institut Ludwig et son directeur actuel, le Professeur Lloyd Old, pour les moyens considérables qu’ils m’ont accordés et surtout pour la patience dont ils ont fait preuve à l’égard d’une recherche dont les progrès étaient parfois bien lents.  Tant il est vrai qu’il y a deux façons certaines d’asphyxier un chercheur, l’une étant de le priver de moyens et l’autre étant d’exiger de lui qu’il obtienne rapidement des résultats qui attirent l’attention générale.

Et finalement, comment ne pas affirmer ici toute la reconnaissance que je dois à l’Université de Louvain dont j’ai toujours vu l’autorité rectorale exercée avec une intégrité et un dévouement qui force le respect et l’admiration de tous.  Comment ne pas admirer la manière dont notre Université sait se montrer solidaire d’un Centre de Recherches comme l’ICP tout en respectant parfaitement sa nécessaire autonomie ?  Mais hélas, comment ne pas partager également l’inquiétude de la communauté universitaire devant les incertitudes financières sans cesse renouvelées qui pèsent sur la recherche et l’enseignement ?  Certes, quelques très bonnes mesures ont été prises récemment.  Je pense principalement aux pôles d’attraction interuniversitaires, mais également à l’augmentation du nombre de chercheurs qualifiés du Fonds National de la Recherche Scientifique.  Cependant il faut encore améliorer la situation et sur ce point, je me permettrai d’avancer une opinion qui fera peut-être froncer les sourcils à certains de mes collègues.  J’ai la conviction que pour améliorer le fonctionnement de nos universités, il est aussi important de supprimer le carcan de nombreuses dispositions légales totalement dépassées que d’augmenter leurs moyens financiers.  Nous devons, et nous pouvons, trouver pour nos jeunes universitaires des conditions de carrière moins rigides, qui fassent mieux sentir aux meilleurs à quel point leur travail est apprécié et qui permettent aux autres de se réorienter dans des conditions convenables, tenant compte des services rendus.  Il n’est pas normal que les universitaires doivent passer sans transition d’un statut précaire à une inamovibilité quasi totale.  Cette situation qui engendre tant de frustrations et de gaspillages ne se corrigera pas par des mesures statutaires nationales ou communautaires, mais bien par un accroissement de l’autonomie de gestion des Universités et des centres de Recherches.  Je suis convaincu, que tempérée à divers échelons par des conseils d’administration bien composés, cette autonomie accrue révèlera parmi nos universitaires cette capacité d’organisation et d’adaptation qui font partie d’un génie, que j’ose encore croire national.  J’espère que vous pardonnerez ces remarques d’un chercheur expérimental dont le métier est fait de beaucoup plus de gestion et de moins de réflexion scientifique qu’on ne le pense généralement.

Pour conclure, je tiens à vous dire que si j’éprouve aujourd’hui quelque fierté d’avoir contribué à un courant de progrès scientifiques, je ressens néanmoins un profond sentiment d’indignité.  Car, poursuivant des recherches dans le domaine du cancer, je suis navré de voir que ces progrès n’ont encore apporté que bien peu à tant de personnes atteintes par cette terrible maladie.  Je pressens cependant que des améliorations thérapeutiques appréciables verront le jour prochainement.  Soyez assurés que nous ne négligerons aucun effort pour hâter ce moment.

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